"En ce temps-là, les moeurs des fidèles étaient plutôt  relâchées. Ainsi en attestait l'archevêque Pedro Cortez y Larraz déclarant,  entre autres, que "l'indécence est si répandue qu'on dit et qu'il a été  publiquement prêché que cette ville est la Sodome de ces provinces." Il  est certain que la catastrophe (le dernier séisme) et la dépravation des  habitants, d'une part, et le manque notoire d'une image de saint Patron,  d'autre part, ont déterminé le curé de la paroisse, don Isidro Sicilia  "ayant réputation d'être très sage et vertueux", à charger le maître  Silvestre Antonio Garcia, troisième de l'Ordre Séraphique, de sculpter et  peindre la superbe image que vénère aujourd'hui le peuple catholique  salvadorien en sa sainte Cathédrale.
        
  ...pour cette raison ainsi que pour les précédentes,  tenant compte que dans l'année dorée que nous vivons, où le premier satellite  artificiel de la Terre survole les salons éthérés, non seulement les  dépravations de tous types n'ont pas disparu de notre ville mais elles se sont  élevées à un niveau industriel. De plus, étant parfaitement clair que nous  sommes toujours aussi démunis face aux catastrophes telluriques (séismes sur  les failles, éruptions volcaniques, inondations, etc.), le Cercle Littéraire Universitaire,  en vertu des facultés qu'induit la concentration de talents,
      DÉCLARE :
      au peuple salvadorien et en particulier à la population  catholique de la capitale, que le vénéré Patron de notre pays, connu dans les  royaumes célestes comme le Sauveur du Monde, dont l'image a été sculptée dans  du bois pour moraliser les moeurs et éradiquer les tremblements de terre, n'a  servi ni à cela, ni à rien d'autre, sinon à remplir les poches des curés et de  leurs coreligionnaires les plus proches sous prétexte d'offrir à Notre Seigneur  son petit toit, son petit coussin, son petit carrosse, ses petites fêtes ; et  encore quand il ne s'agit pas de lui refleurir sa petite couronne, de lui  changer ses hardes pour d'autres qui ne puent pas autant la naphtaline, qui  n'aient pas de broderies si  monotones en or  et en diamants ni des émeraudes et améthystes si vétustes, etc, etc.
        Au vu de quoi le Cercle Littéraire Universitaire, en  vertu de ses facultés, etc.
      PROPOSE :
      Au suprême gouvernement, à l'armée nationale, au Club de  la presse, à 1'UGAASAL, à toute la citoyenneté salvadorienne :
        1) De dégrader du rang de Patron National le Sauveur du  Monde. Il sera ajouté un article sans dérogations à la constitution de la  République qui interdira au pays d'avoir, dans l'avenir, tout patron de ce genre.
        2) De changer le nom de notre République en adoptant de nouveau le phonème indigène  "Cuzcatlan", lequel bien que laid et ringard à force de servir à  baptiser les groupes de marimbas est au moins nôtre et appartient à nos  ancêtres véritables.
        3) De vendre aux enchères publiques l'image en bois dudit  individu osant se faire adorer dans la cathédrale en construction (permanente  et juteuse) avec son trousseau rituel et viatique, afin d'indemniser, au moins  un peu, les préjudices moraux et matériels qu'il a causés pendant tant d'années  à la bonne foi du peuple salvadorien. Avec le produit de la vente, on pourrait  ouvrir un centre de réinsertion pour prostituées dans chaque département de la  République, construire de nombreuses installations sportives pour éloigner la  jeunesse du vice et, enfin, doter le Service de sismologie national  d'instruments plus modernes qui  permettraient un travail de prévention plus efficace face aux velléités de  notre sous-sol. 
        
        Ainsi avons-nous parlé. 
       Goude baïe. " Avril 1959 
      "La Guerre est la continuation de la politique
        par d'autres moyens et la politique est
        seulement la quintessence de l'économie"
        (éléments pour un poème)