JON KALMAN STEFANSSON
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JON KALMAN STEFANSSON
mon sous-marin jaune

Traduction de l'islandais de Eric Boury

"J’ai enlevé la cellophane de l’assiette, j’ai mangé mon poisson pané en essayant d’oublier la visite d’Örn et de la chasser de mon esprit. D’oublier cette collision entre nos deux univers opposés, pourtant censés être étanches. J’ignorais comment interpréter l’événement, je n’en avais d’ailleurs pas envie, je me suis donc remis au roman de Jóhann ; je lis pour oublier. « Il est à tel point inabouti, à tel point imparfait, écrit Örlygur à son sujet, et certains passages sont tellement abracadabrants, qu’il faut attendre d’arriver à la fin pour se rendre compte que ce roman est la vie elle-même : imparfait, inabouti comme seule la vie peut l’être. "

"Tout le monde est mort ", dit le poème « La violencia de la horas » de César Vallejo. C’est loin d’être faux, les calculs des scientifiques le prouvent : même si la population mondiale n’a jamais été plus nombreuse qu’aujourd’hui avec ses sept milliards d’êtres humains, vingt autres milliards ont péri sur cette Terre depuis l’aube des temps. Notre planète déborde de défunts, nous continuons à mourir, il faut sans relâche agrandir les cimetières et en créer de nouveaux. Ces cimetières sont comme les parkings des grandes villes à l’heure de pointe – il n’y a jamais assez de places. Tout le monde est mort. "


JON KALMAN STEFANSSON
Ton absence n'est que ténèbres
Traduction de l'islandais de Eric Boury

"Les environs de Keflavík sont jolis, a un jour confié à Eiríkur son oncle Páll, peut-être parce qu’on a parfois l’impression que ce n’est pas un paysage, mais seulement du vent, de l’espace et des goélands. "

 "Trois jours plus tard, ils roulent vers le nord avec le cercueil. Sur le pick-up de Halldór. Il est seul dans l’habitacle, Skúli, Páll et Eiríkur sont assis sur un épais matelas posé à même la plateforme, à l’abri de la cabine, tout le trajet, cinq heures durant, comme pour veiller Hafrún ou lui tenir compagnie. La neige se déverse sur eux quand ils traversent la lande de Holtavörðuheiði, Eiríkur est tellement transi qu’il se change presque en stalactite."


JON KALMAN STEFANSSON
Lumière d'été, puis vient la nuit

Traduction de l'islandais de Eric Boury

"Une nuit, il avait rêvé en latin. Tu igitur nihil vidis ? Il lui avait fallu longtemps pour découvrir de quelle langue il s’agissait, il avait d’abord pensé que c’était un idiome imaginaire, se disant que tant de choses habitent les rêves, et caetera, et caetera. À cette époque, le village était sensiblement différent de ce qu’il est devenu aujourd’hui, nos gestes étaient légèrement plus lents et la Coopérative était le centre de notre monde. Lui, il dirigeait l’Atelier de tricot et venait d’avoir trente ans. "

 


JON KALMAN STEFANSSON
Asta

Traduction de l'islandais de Eric Boury

"La ferme, elle-même située en haut du champ, ressemble à une touffe d’herbe, une partie est en tourbe et un bâtiment en bois couvert de tôle ondulée y est contigu. Cette ferme représente deux époques : d’une part, un passé lointain et, d’autre part, un autre passé encore plus lointain. Le paysan s’arrête, il éteint le moteur et tout le silence du monde entre par sa vitre ouverte. "


JON KALMAN STEFANSSON
A la mesure de l'univers : Chronique familiale
Traduction de l'islandais de Eric Boury

"Que ce point soit bien clair avant de poursuivre pour nous engager plus loin et entrer plus profondément dans ce que nous ne comprenons pas, ne maîtrisons pas, mais que nous désirons, redoutons, et dont nous regrettons l’absence, il faut que ce point soit bien clair afin d’avoir en main ne serait-ce qu’une donnée tangible : Nous sommes à Keflavík. Cette ville excentrée et surprenante, ses quelques milliers d’habitants, son port vide, son chômage, ses concessionnaires automobiles, ses camionnettes à hamburgers, et cette terre si plate que, depuis le ciel, on dirait une mer étoilée."


JON KALMAN STEFANSSON
D'ailleurs les poissons n'ont pas de pieds : Chronique familiale
Traduction de l'islandais de Eric Boury

"Elle est plus belle que tout ce qu’il a pu voir et rêver jusque-là, à cet instant, il ne se souvient de rien qui puisse soutenir la comparaison, sans doute devrait-il couper court à tout ça, faire preuve d’un peu de courage et de virilité, pourtant il ne fait rien, comme s’il se débattait avec un ennemi plus grand que lui, plus fort aussi, c’est insupportable, il serre à nouveau les poings, récitant inconsciemment son poème d’amour. Elle s’en rend compte et lui dit, si je dénoue mes cheveux, alors tu sauras que je suis nue sous ma robe, alors tu sauras que je t'aime." 


JON KALMAN STEFANSSON
Le coeur de l'homme
Traduction de l'islandais de Eric Boury

"Où s'achèvent les rêves, où commence le réel ? Les rêves proviennent de l’intérieur, ils arrivent, goutte à goutte, filtrés, depuis l'univers que chacun de nous porte en lui, sans doute déformés, mais y a-t-il quoi que ce soit qui ne l’est pas, y a-t-il quoi que ce soit qui ne se transforme pas, je t’aime aujourd’hui, demain, je te hais – celui qui ne change pas ment au monde."


JON KALMAN STEFANSSON
La tristesse des Anges

Traduction de l'islandais de Eric Boury

"Quelque part dans l'aveuglante tempête de neige et le froid, le soir tombe, la nuit d'avril s'immisce entre les flocons qui s'accumulent sur l'homme et sur les deux chevaux. Tout est blanc de neige et de givre, pourtant, le printemps approche. Ils avancent péniblement contre le vent du nord qui est plus fort que toute chose en ce pays, l'homme se penche en avant sur sa monture, cramponné à la longe de l'autre animal, ils sont entièrement blancs, recouverts de glaçons. "


JON KALMAN STEFANSSON
Entre ciel et terre

Traduction de l'islandais de Eric Boury

"Les mots sont des flèches, des balles de fusil, des oiseaux légendaires lancés à la poursuite des héros, les mots sont des poissons immémoriaux qui découvrent un secret terrifiant au fond de l'abîme, ils sont un filet assez ample pour attraper le monde et embrasser les cieux, mais parfois, ils ne sont rien, des guenilles usées, transpercées par le froid, des forteresses caduques que la mort et le malheur piétinent sans effort.
Les mots sont cependant tout ce que le gamin possède. À part les lettres de sa mère, un pantalon de grosse toile, ses vêtements de laine, trois livres peu épais ou plutôt des fascicules qu'il a emportés avec lui en quittant le baraquement, des bottes de mer et de mauvaises chaussures. Les mots sont ses compagnons les plus dévoués et ses amis les plus fidèles, ils se révèlent pourtant inutiles au moment où il en aurait le plus besoin — il ne parvient pas à ressusciter Barôur, cela, Barôur le savait depuis le début. "