MARIE JOSÉ MONDZAIN
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MARIE JOSE MONDZAIN
K comme Kolonie
Kafka et la décolonisation de l'imaginaire

" Le colonialisme est devenu la figure mondialement imposée, sous la forme insidieuse d’une pseudo-culture de l’universalité où les industries de la communication combinent habilement terreurs et jouissances. Dans les flux continus de la consommation et du déchet, c’est le colonialisme qui est recyclable et recyclé. "

"Il faut au contraire insister sur la place spécifique des populations colonisées qui continuent de subir la violence du racisme et de toutes les disqualifications. L’abolition des esclavages n’a jamais mis de terme aux stratégies de la servitude et ceux qui rendaient à un territoire son indépendance laissaient derrière eux l’empreinte intériorisée d’un pouvoir asservissant dont les nouveaux maîtres continuent à reproduire les abus. "

La Fabrique, 2020


" La conquête des territoires, la prédation des richesses, la soumission des peuples n’ont pas été obtenues par la seule force des armes. La victoire aurait été fragile et peu durable. Pour pérenniser la victoire et assurer les profits il fallait conquérir les âmes, apaiser leurs craintes, négocier de façon rusée l’économie des échanges, c’est-à-dire confisquer l’imaginaire collectif en usant d’instruments propres à capturer le désir lui-même. Pour confisquer les biens il a fallu confisquer les âmes et pour cela confisquer la parole en s’adressant directement aux affects. C’est en termes de cruauté, de jouissance et de mort que s’est organisée cette économie des affects où l’amour et la haine n’étaient plus démêlables. La démarche consista à priver symboliquement les corps conquis de toute âme puis d’en accorder une plus conforme permettant au plan économique de la prédation de coïncider avec le plan du salut. Si le colonisé n’a point d’âme, alors c’est bien pour le sortir de son animalité et de sa misère qu’il faut inscrire dans sa chair l’idiome rédempteur de la loi imposée. Pénétrer les affects, graver dans la chair les croyances et les convictions dans une langue à la fois illisible et subie, réduire la mémoire et la parole au silence ont été autant de programmes de désubjectivation . "

"Le colonisé devenu chose exportable, déportable, mutilable et jetable est à la fois matière première et déchet. "


 

MARIE JOSÉ MONDZAIN
Confiscation
Des mots, des images et du temps


" À la plainte quotidienne et légitime qui dénonce la pollution de l’air et annonce l’agonie de la planète se joint, inséparable, l’expérience déprimante des tensions agressives dans l’espace public. Le spectacle du pouvoir manifeste dans le lugubre éclat de la violence policière son incapacité politique, son indigence intellectuelle et son inculture. "

 

"Les organes du pouvoir lui-même, dans leur acquiescement lucratif avec le capitalisme sauvage, se font serviteurs de toutes les dérégulations en faisant mine d’en combattre les dérèglements et même de nous en protéger ! Tout sonne tellement faux, comme un instrument désaccordé ! On peut à juste titre se demander quelles sont les voix qui peuvent se faire entendre, non pas pour formuler quelque vérité perdue ou encore inédite, mais pour rendre simplement à l’usage de la parole et au sens des mots leur pouvoir de liaison. Il s’agit surtout de cette fiabilité sans laquelle c’est le partage du temps et celui de l’espace public qui perdent leur vitalité et leur consistance. Loin de s’accorder, c’est-à-dire de tomber d’accord dans le chorus d’une opposition, la consonance consensuelle des opposants eux-mêmes devient le masque du mutisme et la brèche ouverte aux impostures. Les discordances dans les conflits apportent au contraire leur prodigieuse fécondité aux productions imaginaires sans lesquelles il n’y a pas de vie politique. Il s’agit de construire un monde commun dans le respect des désajustements irréductibles de ses membres."

 

Editions Les Liens qui libèrent
2017


"La radicalité, au contraire, fait appel au courage des ruptures constructives et à l’imagination la plus créatrice. La confusion entre la radicalité transformatrice et les extrémismes est le pire venin que l’usage des mots inocule jour après jour dans la conscience et dans les corps. Que l’on considère l’extrémisme le plus désespéré, voire suicidaire, ou bien tous les intégrismes fanatiques qui veulent insuffler les vapeurs toxiques d’un enthousiasme haineux et xénophobe, nulle part il ne s’agit de radicalité, c’est-à-dire de la liberté inventive et généreuse. Cette radicalité ouvre les portes de l’indétermination, celle des possibles, et accueille ainsi tout ce qui arrive, et surtout tous ceux qui arrivent, comme un don qui accroît nos ressources et notre puissance d’agir."

 " Il appartient au regard du promeneur d’embrasser l’horizon le plus large pour ne pas se laisser fasciner par ce que la surabondance des productions visuelles et sonores impose comme foyer d’incandescence dans l’organisation quotidienne de la terreur et de la jouissance, ce qui finalement revient au même. C’est toujours une modalité de la pornographie qui voudrait gagner du terrain et qui parfois semble y parvenir. Il s’agit donc de défendre la radicalité contre cette pornographie en cessant d’en faire un oxymore qui dit ensemble la révolte et l’asservissement."

"La défense de la parole et la vigilance maintenue dans les usages de la langue sont la condition du débat qui permet et soutient la vie politique."

"La bande-son des tyrannies ne se réduit pas aux assourdissantes pratiques des chants guerriers et des cantiques. Faire chanter ensemble est le plus sûr moyen de s’emparer de la respiration des corps et d’obtenir le silence de la pensée dans l’amplification organisée de ce qu’il faut entendre et de ce qu’on doit clamer."

"Pourtant si le terme « culture » pouvait encore signifier quelque chose, ce ne pourrait être qu’en lui accordant de ne désigner que l’ensemble des ressources sensibles, donc matérielles, et des ressources symboliques qui produisent des liens sociaux dans des rapports d’intelligibilité et d’affect capables d’assurer les conditions d’une vie politique."

 


MARIE-JOSÉ MONDZAIN
Images (à suivre)

"L'intime ne désigne pas le non partagé, bien au contraire, il s'oppose à la publicité qui parodie le partage, ou à la publication qui compose avec l'ordre de la diffusion."

"Le poème a cette puissance de faire voir ce qui n'est pas entendu et de faire entendre le silence des images qui se love dans les plis du visible."

Bayard, 2011


Seuil, 2003

MARIE-JOSÉ MONDZAIN
Le commerce des regards

"Quitter la vie des chiens pour choisir celle des loups demande beaucoup de courage et la capacité d'accepter une existence famélique. Chose bien difficile dans un monde où le bonheur consiste à être repu. Changer de place pour ne s'en approprier aucune est le choix d'une errance libre ouverte à l'aventure des rencontres. Le commerce des paroles et des regards est sans avenir là où chacun ne se définit que par ce qu'il achète et par ce qu'il vend dans un commerce qui exige qu'il se vende lui-même pour devenir un bon acheteur et bon vendeur du produit qu'il est devenu lui-même."

 


MARIE-JOSÉ MONDZAIN
L'image peut-elle tuer?

"Ce qui est violent, c'est la manipulation des corps réduits au silence de la pensée hors de toute altérité. Jamais les hommes ne sont aussi seuls que lorsqu'ils fonctionnent comme Un. Le rassemblement domestique ou public de spectateurs qui produit dans le même mouvement la communion et l'exclusion (l'excommunication), voilà le problème majeur posé par l'usage des écrans dans la construction d'une communauté aux prises avec ses passions. Le pouvoir veut toujours contrôler l'amour et la haine, et, dans la mesure où l'émotion visuelle a affaire à ces passions-là, le dispositif qui montre, la forme choisie pour montrer, la place donnée à la voix, le risque pris dans un cadrage, dans un montage, sont autant de gestes politiques où s'engage le destin du spectateur dans sa liberté même. La censure ne pourra jamais se substituer par ses décrets à l'éducation du regard et à l'exigence éthique des productions. Mais, dira-t-on, quand la pornographie est là, il faut bien prendre position. La question serait plutôt que la pornographie étant un marché lucratif, qui est prêt à y renoncer? Le crime et le sexe sont des expériences réelles qui ont donné lieu à des oeuvres d'art aussi longtemps qu'on ne les transformait pas en marchandises. L'argent est devenu l'espèce moderne de la transsubstantiation communielle."

 

Bayard, 2002


"Un enfant peut tout voir à condition d'avoir eu la possibilité de construire sa place de spectateur. Or cette place est longue à construire. Il Il faut donc en conclure qu'un enfant ne peut pas tout voir s'il n'est pas soutenu par la parole de ceux qui voient avec lui et qui eux-même doivent avoir appris à voir. L'image n'est pas un espéranto accessible à tout un chacun. L'image en tant qu'objet passionnel est toujours violente, reste à savoir la force ou la faiblesse qu'on en tire. La violence d'une image donne de la force quand elle ne dépossède pas le spectateur de sa place de sujet parlant. Voir avec d'autres, voila la question puisque l'on voit toujours seul et qu'on ne partage que ce qui échappe à la vue. C'est ce qui se tisse invisiblement entre les corps qui voient et les images vues qui constitue la trame d'un sens partagé, d'un choix dans le destin des passions qui nous traversent. Cela se joue sur l'écran et n'est pas visible sur lui. L'atopie de l'image au coeur des visibilités nous met en demeure de produire l'invisible, ce que tous disent avoir vu et que le visible n'a pas montré. Une salle de cinéma est au sens fort une salle d'attente."