SVETLANA ALEXIEVITCH
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2013

SVETLANA ALEXIEVITCH
La Fin de l'homme rouge

ou Le Temps du désenchantement
Traduction du russe de Sophie Benech

"La civilisation soviétique... Je me dépêche de consigner ses traces. Des visages que je connais bien. Je pose des questions non sur le socialisme, mais sur l'amour, la jalousie, l'enfance, la vieillesse. Sur la musique, les danses, les coupes de cheveux. Sur les milliers de détails d'une vie qui a disparu. C'est la seule façon d'insérer la catastrophe dans un cadre familier et d'essayer de raconter quelque chose. De deviner quelque chose. Je n'en finis pas de m'étonner de voir à quel point une vie humaine ordinaire est passionnante. Une quantité infinie de vérités humaines... L'histoire ne s'intéresse qu'aux faits, les émotions, elles, restent toujours en marge. Ce n'est pas l'usage de les laisser entrer dans l'histoire. Moi, je regarde le monde avec les yeux d'une littéraire et non d'une historienne."


1997

SVETLANA ALEXIEVITCH
La supplication
Tchernobyl, chronique du monde après l'apocalypse

"Des milliers de tonnes de césium, d’iode, de plomb, de zirconium, de cadmium, de béryllium, de bore et une quantité inconnue de plutonium (dans les réacteurs de type RBMK à uranium-graphite du type de Tchernobyl on enrichissait du plutonium militaire qui servait à la production des bombes atomiques) étaient déjà retombées sur notre terre. Au total, quatre cent cinquante types de radionucléides différents. Leur quantité était égale à trois cent cinquante bombes de Hiroshima. Il fallait parler de physique, des lois de la physique. Et eux, ils parlaient d’ennemis. Ils cherchaient des ennemis  !
Tôt ou tard, ils auront à répondre de cela."

"EN GUISE D’ÉPILOGUE
«  Une agence de voyages de Kiev propose des voyages à Tchernobyl et une tournée au cœur des villages morts... Naturellement, pour de l’argent. Visitez La Mecque du nucléaire...  » Le journal Nabat, février 1996. "


SVETLANA ALEXIEVITCH
Les cercueils de zinc
Traduction du russe de Wladimir Berelowitch

 "De quoi parle-t-on autour de moi ? Que lit-on dans les journaux ? On évoque le devoir international, la géopolitique, les intérêts de l’État, la sécurité de nos frontières méridionales. Et on croit tout cela. On y croit. On parle de cercueils de zinc, de mères qui hier encore se jetaient avec désespoir sur ces boîtes métalliques aveugles, et qui prennent aujourd’hui la parole dans les entreprises et les écoles, appelant d’autres jeunes garçons à “accomplir leur devoir envers la patrie”. La censure veille jalousement à ce que les récits de guerre ne parlent pas de nos morts. On veut nous faire croire que “le contingent limité de troupes soviétiques” a été envoyé en Afghanistan pour aider un peuple frère à construire des routes, à transporter des engrais dans les villages et que des médecins soviétiques sont là pour accoucher les femmes afghanes. Beaucoup ajoutent foi à tout ceci. Des soldats revenus de là-bas chantent dans les écoles en s’accompagnant à la guitare alors qu’ils devraient hurler."

1990


1985

SVETLANA ALEXIEVITCH
Derniers témoins
Traduction du russe de Anne Coldefy-Faucard

Genia Belkevitch, six ans.
Aujourd'hui : ouvrière.

JE ME SOUVIENS... J'étais toute petite, mais je me souviens de tout...
Juin 41...
Mon dernier souvenir du temps de paix, c'est une histoire que maman me lisait avant que je m'endorme. C'était mon histoire préférée : le conte du Petit Poisson d'or. Moi, je demandais toujours quelque chose au Poisson : «Poisson d'or, gentil Poisson d'or...» Ma petite sœur aussi. Mais elle le demandait différemment : « Abra-cadabri, abracadabra ! Par la volonté du brochet et conformément à mon souhait... » Notre souhait le plus cher était de passer l'été chez Grand-Mère et que Papa vienne avec nous. Il était si amusant...
Ce matin-là, c'est la peur qui m'a réveillée... La peur de bruits inconnus...


SVETLANA ALEXIEVITCH
La guerre n'a pas un visage de femme

Traduction du russe de Galia Ackerman et Paul Lequesne

"Dans notre famille, il y avait huit enfants, les quatre premiers, c'étaient toutes des filles, et j'en étais l'aînée. La guerre va son train, les Allemands sont déjà aux abords de Moscou... Un jour, papa rentre du travail, en larmes : « Autrefois, je me réjouissais d'avoir eu des filles en premier. Des filles à marier. Mais maintenant, dans chaque famille quelqu'un part au front, et chez nous, personne... Je suis trop vieux, on ne veut pas me prendre, vous, vous êtes des filles, et les garçons sont trop petits. »
Des cours pour devenir infirmière avaient été organisés. Mon père nous y a envoyées, ma soeur et moi. J'avais quinze ans, ma soeur, quatorze. Il disait : « C'est tout ce que je peux donner pour la victoire. Mes filles... » A l'époque, on n'avait pas d'autre pensée.
Un an plus tard, j'étais au front..."

"J'étais si petite, quand je suis partie au front, que j'ai grandi pendant la guerre."

1985