LAURENT GAUDE
Accueil


Actes Sud, 2022

LAURENT GAUDE
Chien 51

 " D’un coup, la ville devint folle. Lorsque les dirigeants de GoldTex annoncèrent que le rachat de la Grèce était finalisé, les citoyens d’Athènes furent pris de panique. Eux qui s’étaient massivement opposés à cette acquisition, qui, durant des mois, avaient manifesté, soutenu la jeunesse lorsqu’elle construisait des barricades et jurait d’aller jusqu’au bout, finirent par se tourner vers l’oppresseur et voulurent tous partir."


LAURENT GAUDE
Paris, mille vies

"Paris s'apaise. Mon père est tout près, je le sens. Je retrouve son odeur, le grain de sa voix, tous ces détails que la mort nous vole. Je vais devoir le laisser partir à nouveau mais je l'ai ramené au présent. Il a marché sur mes épaules, déambulé dans les rues de cette ville qu'il nous a offerte, à mon frère et moi. C'est le rêve qu'ils ont eu, avec ma mère: offrir Paris à leurs enfants. Que tout commence ici. Alors cette ville est mienne, oui, parce qu'elle m'a été donnée. Et tout ce qui bruisse en elle, la clameur du passé, le fracas, les révoltes, les foules pressées, le pas hésitant des poètes, les solitudes côte à côte et les grands espoirs des foules, sont miens. Je prends tout. je retrouve Paris. Et je sens mon père sourire avec douceur, heureux de voir que tout continue au-delà de lui. "

Actes Sud, 2020


Actes Sud 2015

LAURENT GAUDE
Danser les ombres

"Les efforts lents d'un peuple vers la liberté, un peuple qui se secoue le dos pour faire tomber les sangsues du pouvoir, qui se bat pour que ses fils fassent des études et vivent mieux que ses aînés, pour qu'il n'y ait plus de Bourik Travay qui, dès l'âge de douze ans, porte toute la journée des poids harassants, sans jamais souffler et puis finalement, le néant...En quelques secondes...A quoi cela a-t-il servi ? ...Qui se joue d'eux ?...Un dieu mauvais ? Ou le hasard simplement, qui s'obstine comme il le fait parfois lorsque le dé a décidé de ne plus donner qu'un seul chiffre, toujours le même, celui qui porte la poisse ? "


LAURENT GAUDE
Ouragan

"Paul the Cripple avait raison. Ils arrivent. Par dizaines, par centaines. D'abord, je n'ai rien remarqué mais il m'a montré des remous de-ci de-là, en trépignant de joie. L'eau bouge. On dirait qu'elle va se lever. Petit à petit, je discerne ce qui grouille à nos pieds : ce sont des alligators. On voit leurs écailles fendre les flots. Il y'en a tant que l'eau, par endroits, fait des bouillons. Tout se bouscule. Les animaux s'inquiètent mais il est trop tard. Les reptiles sont sur eux. Le grand cerf bondit pour leur échapper mais une bête l'a saisi à la patte arrière et il retombe avec lourdeur dans les eaux sales. Plusieurs mâchoires se referment sur lui. L'eau claque et gicle. Il se bat, remue, tente de se relever mais les alligators ne lâchent pas prise. Les os se cassent. La chair se déchire. Nous entendons, delà où nous sommes, de longues plaintes sourdes. C'est la bête qui se meurt, la tête sous l'eau. Les autres reptiles s'attaquent aux flamands roses. Ceux qui ne s'envolent pas à temps, ceux qui tardent trop, sont pris dans leurs mâchoires et disloqués. Ils n'en font qu'une bouchée. Nous ne voyons plus qu'un mélange indistinct de mâchoires et de plumes. Les grands oiseaux, si élégants, sont réduits à un paquet de chair compacte qui se fait broyer. Les singes, excités par l'odeur du sang, se mettent à crier. Ils ne peuvent s'enfuir, l'eau les entoure. Les alligators montent sur les tombes. J'ai les oreilles pleines du bruit sourd des mâchoires qui se referment. J'ai peur que les bêtes, maintenant, ne viennent sur nous. Partout ce n'est que massacre carnassier. Ils broient tout. plus rien ne subsiste du spectacle lumineux dont nous avons joui quelques instants plus tôt. Tout piaffe et caquette avec terreur. La mort est là. C'est un grand banquet de sang."

Actes Sud 2010


Actes Sud, 2006

LAURENT GAUDE
Eldorado

"l'herbe sera grasse, dit il, et les arbres chargés de fruits. De l'or coulera au fond des ruisseaux, et des carrières de diamants à ciel ouvert réverbèreront les rayons du soleil. Les forets frémiront de gibier et les lacs seront poissonneux. Tout sera doux la bas. Et la vie passera comme une caresse. L'eldorado commandant. Ils l'avaient au fond des yeux. Ils l'ont voulu jusqu'à ce que leur embarcation se retourne. En cela ils ont été plus riches que vous et moi. Nous avons le fond de l'œil sec nous autres et nos vies sont lentes."


LAURENT GAUDE
Le soleil des Scorta

"Un homme poussiéreux et sale entrait dans la maison des Biscotti, à l'heure où les lézards rêvent d'être poissons, et les pierres n'y trouvèrent rien à redire."

Actes Sud, 2004



Laurent Gaudé, Etonnants Voyageurs, Saint-Malo, 8 juin 2003



Actes Sud, 2002

LAURENT GAUDE
La mort du roi Tsongor

"Ils quittèrent à jamais la cité reine d'autrefois, l'abandonnant au lichen et aux singes. Ils marchèrent aux côtés de la mule. Sans parler. Chacun veillait sur le corps du roi mort. Soudain, à l'instant où ils furent sur la cime de la colline, ils entendirent le grand choeur plaintif des singes hurleurs. C'était comme un dernier salut de la ville. Ou comme le rire moqueur du destin qui élevait son cri de victoire, dans un pays du silence."