ANTOINE EMAZ
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Tarabuste, 2022

ANTOINE EMAZ
ERRE

Dessins Djamel Meskache

"se perdre dans l'autour

qu'il n'y ait plus rien au centre
ou devant
même plus un paysage
tel arbre ou telle fleur

dilué loin"

"quoi regretter
on n'est pas là pour

arrive un moment dans la descente
où tout devient égal
et c'est aussi l'entrée
dans les eaux calmes
quand ça ne rebondit plus

mots moi vent arbres mer
s'égalisent en un bruit faible diffus
ça ne se tait pas mais ça n'opère plus
sur le devant
reste
la nuit "

 


"nostalgie non
mais ce passé comme une terre sous le pied"

 

"un long silence bleu d'oubli
comme un effacement des ardoises

et ce n'est pas se perdre
que s'effacer"

 

"une sorte d'équilibre que l'on sait faux
mais il fera l'affaire
après tout le présent demeure le seul endroit
où respirer va de soi"

 

"c'est vivre
aussi

il n'y a pas que les arbres la mer
ce serait trop facile

même s'il y a eu
aussi
les arbres sur le ciel bleu

pas sûr que tout ça parle encore

c'est vraiment infra

mais qu'est-ce que ça peut faire

la vraie nuit devant c'est pire
il n'y a même plus de mots

éteindre"


ANTOINE EMAZ
D'écrire, un peu

"Atteindre en mots une certaine intensité de vivre, voilà peut-être ce que je demande à un poème, un livre."

"La page doit tenir ; qu'elle soit vraie n'entraîne pas forcément qu'elle sonne juste. D'où la menuiserie qui suit l'état premier du poème."

"Rien d'immuable, ou d'immobile. Donc on prend des instantanés partiels, pour y voir un peu, sans illusion. Ensuite, cela retourne à la pénombre, au mouvant. Peu de brusques ruptures ou bouleversements, mais un déplacement, perpétuel glissement, dérive..."

"Les expériences décisives d'une vie ne sont pas si nombreuses, et l'enfance demeure centrale. On retrouve ensuite plus qu'on ne découvre, même si on a l'impression de découvrir ce qu'on retrouve. L'unité d'une œuvre se fonde sur celle de l'auteur, son unique étroite peau de vivant. Rien ne sert d'unifier le travail de façon factice, il suffit de continuer à vivre-écrire. Si on ne sait jamais où on va, on ne risque pas de se perdre.

"Le même jardin, et pourtant... la même vie, et néanmoins... le même ciel, mais... Constance et variation, écart et répétition ; l'étonnement naît de ce qui a bougé dans le même. Et plus l'ordinaire banal quotidien est établi dans son gris, aussi pesant que rassurant, plus un déplacement devient sensible. Un poème peut ne tenir qu'à un crocus, à un nuage. On peut juger que c'est léger, que la poésie est appelée à une mission plus haute, mais pour les capteurs internes, si les chocs sont d'amplitude variable, ce sont tous d'abord des chocs, impacts, heurts, neutres."

"On n'écrit pas pour faire beau, on écrit pour respirer mieux."

"Aucune volonté ou esthétique, semble-t-il, seulement laisser la vie bouger librement les mots, dans une forme qui naît en même temps qu’elle s’écrit. Il s’agit d’enregistrer, rien d’autre. Être fluide, poreux, le plus transparent possible. Le mieux serait de ne pas être là, presque. Laisser parler l’intérieur, sans contraindre. Ne pas résister, juger ou intervenir. Surtout ne pas s’interdire, faire écran ou vouloir guider, forcer. S’effacer. Il sera toujours temps plus tard. Pas maintenant. Ne pas faire retour pour essayer de comprendre. N’être que pur sismographe, neutre. "

 

AEncrage & Co, 2018




Samedi poésies et dimanche aussi. Festival de Bazoches, juillet 2017 (Avec Ludovic Degroote )

Tarabuste, 2016

ANTOINE EMAZ
Limite

18/10/2013
 « nuit
roulée réglisse
épaisse
pâte noir
goudron

Peur de s’enliser
dans un sol mur mou »

04/01/2014
« Toujours les mots
contre le mur

Comme une échelle de lierre »

12/04/2015
« bleu sans faille 

faïence

coque renversée du ciel
casque

distance bleue

entre les tempes
la lumière

avril
ricoche

le jardin le silence
sous une large lame de soleil
et de ciel

temps sur sa point

on voudrait être
à la hauteur du jour

bleu trop loin
autre

on reste
ic en bas
dans la lumière

avec les oiseaux

au sol il y a aussi
des pierres plates tièdes
quelques fleurs courtes
l'herbe

on ne manque pas »

 


ANTOINE EMAZ
Cuisine

"poème, livre, île
Poème comme une île datée du jour de sa découverte. Livre archipel d’une période. Mais à bien regarder les dates, il y a bien plus d’eau que d’îles. Jours dont il ne reste rien, retournés définitivement au silence, à une forme de mort, cette fois, à la mer libre et sans histoire. "

"vivre, fatigue
Il y a un point dans la fatigue, et c’est pour cela que cet état continue de m’intéresser, où tout devient indifférent. Une forme particulière d’ataraxie. Mais cela peut libérer des neurones bloqués depuis longtemps qui se mettent à gigoter et transmettre des messages moins contrôlés mais plus vrais, au fond. La fatigue, c’est une lente mise en mouvement de la vase de tête. "

Publie.net, 2011


Tarabuste, 2011

ANTOINE EMAZ
Sauf

"...l'élargissement viendra
du dedans
s'il doit venir

pour l'heure
on aménage l'espace restreint
et sous les livres
on arrive à ne plus voir les murs

ainsi
à l'étroit dans ce qui est possible
on est
debout
encore

on dure."

 


"Un jour

respirer reste simple
jusqu'à ce que montent
devant
d'un seul tenant
et le jour et la mer" ...

"Penser ne prend plus. S'installe une tristesse, parfois paresse tiède, parfois malaise, qui d'un jour l'autre unifie le tout dans une durée pâle."

"L'air bleu

à la tombée du soir
ce bleu
et un tourbillon d'oiseaux minces

ailleurs ensemble
la peau les os
le poids peu sûr des mots

et le soir tranche
le jour s'engouffre "...

Tarabuste, 2011


Jacques Josse, James Sacré, Antoine Emaz, mars 2010 (invités des Polyphonies, Maison de la Poésie de Rennes)

Maison de la Poésie, Rennes, mars 2010

ANTOINE EMAZ
PLAIE

"....on entame un parcours
long
une spirale prudente

comprendre
non

même en allant doucement
c'est non

même avec des années
ce sera
non

il n'y a rien à comprendre "

Editions Tarabuste, 2009


"...les questions dans la neige

peaux mortes mues

on est nu neuf
face au vide
au ciel-drap

la neige tombe lente sur un cratère de temps

on voit le blanc peser doucement
effacer les traces

on voit un pays page sage
soi
nappé de silence épais rien
quand les mots glacent
ou perlent fondent
en gouttes lentes

l'eau du temps maintenant
non plus boue
ou pus "

 





Au Marché de la Poésie, Rochefort-sur-Loire, juillet 2009

ANTOINE EMAZ
cambouis

"Rester sur du très simple, parce que c'est le plus compliqué à vivre. Donc c'est là que les mots me sont nécessaires pour éclairer.Le poème est d'un usage quotidien : disons que c'est un torchon de cuisine, pas un linge sacré à un usage exceptionnel.

 

Seuil, 2009






Aux Poétiques de Saumur, juin 2009 (Avec Albane Gellé)

Tarabuste, 2008

ANTOINE EMAZ
Peau

...seul
on ne se porte pas si mal
sans être vraiment léger

cela tient à cet air
qui aide

comme de la tendresse
diffuse la lumière
enrobe

bien sûr on ne va pas
en rester là

on sera rejoint
et ça s'en ira comme le reste
dans l'évier du soir
on le sait...

 


Seuil, 2007

ANTOINE EMAZ
Caisse Claire

C'était un temps de grisaille indéfinie - rien ne s'achevait vraiment. Cela se perpétuait seulement, de façon assez creuse. On aurait pu se contenter de cette durée pâle mais qui avait l'avantage de se maintenir, de se poursuivre à travers des journées remplies de détails à régler. Mais cela sonnait fêlé: quelque chose poussait comme à l'intérieur de cette coque et on ne voyait pas bien quoi. On se demandait si cela aurait la force de faire éclater tout ce qui s'était peu à peu incrusté, épaississant, renforçant la coquille, aufur et à mesure. En même temps que cette attente comme d'une renaissance, il y avait la crainte de bouleverser, la peur que quelque chose ne s'épuise dans le bouleversement et qu'on se retrouve défait, sans rien. On ne pouvait guère mesurer le danger, mais il pesait, et parfois faisait presque regretter le malaise sans issue mais plus supportable, semblait-il.

Seuil, 2007


NU(e)
N° 33

Antoine Emaz

-Ta poésie s 'alimente à deux sources essentielles que sont la mémoire et le quotidien, ce que tu nommes « le banal ». Sur le plan esthétique, les images liées des objets issus de la production industrielle ont-elles autant de puissance que les images liées aux éléments naturels ?

Je répondrai oui. Pour moi, tout ce qui constitue mon environnement est potentiellement poétique. C'est très simple. Là, il est 16h 30. Si je regarde par la fenêtre, je vois le jardin avec la glycine, le géranium, le prunus qui perd ses feuilles. Si maintenant j'écris à 20 heures ce soir, les volets seront descendus, il ne restera rien des éléments du jardin. Il ne restera plus que les objets de mon environnement habituel : le grille-pain, la pipe, le cendrier, le bruit de la machine à laver... Parmi les choses du réel, il n'y a pas de hiérarchie, d'échelle de valeur poétique. C'est une question de poids d'existence. De ce point de vue, la machine à laver pèse autant que la glycine. Elle n'est pas plus poétique parce qu'elle est glycine que la machine à laver. C'est la même chose. Donc, on peut les poser toutes les deux. On pose glycine parce que la fenêtre est ouverte et qu'on regarde dehors et on pose machine à laver parce que la fenêtre est fermée et qu'on entend son bruit. Pierre Reverdy le disait déjà : il n'y a pas d'élément poétique en soi. Il y a des éléments du réel embarqués dans le poème. C'est le poème qui les intègre dans un bâti de mots qui est poétique ou non.


ANTOINE EMAZ
De l'air

poubelle de tête
dans l'été droit sans ombre
bouts de figures cassées
débris mêlés
puzzle d'êtres perdus
on pourrait les recomposer
en mosaïque bizarre
chimère

ne pas rêver

on ne fouille pas cette part
qui ne pourrit pas du temps
même avec le soleil

 

couverture Pierre Emptaz

Le dé bleu, L'idée bleue, 2006


Wigwam, 2006

ANTOINE EMAZ
Sur la fin

elle se détache

il n'y a plus guère à parler
on triche un peu on ment

il n'y a peut-être jamais eu
de vraie parole possible...

Wigwam, 2006


ANTOINE EMAZ
K.-O

l'étroit
on ne s'y fait pas

rares moments de peau
sur mesure
très rares

temps martelant
son peu d'histoire

temps qui bat faux
sur une caisse
claire on ne sait mais sûre
caisse au bout
avec peau et tout
fermée

 

 

Inventaire-Invention, 2004


Editions Rehauts, 2003

ANTOINE EMAZ
lichen, encore

Je dis rose, mais ce pourrait être vent, sable, boue, bœuf­carottes, violoncelle, bruit de porte ou claquement de semelles de bois sur un carrelage ... le déclic est le même. C'est pour cette raison qu'il n'y a pas de différence profonde entre la vue de la glycine en fleurs et celle d'un bus calciné par un attentat, entre une décapitation et marcher dans du gravier blanc ... Cela peut sembler étrange, mais le processus d'écriture me paraît strictement le même, sinon le fait qu'il naisse d'émotions contraires: plaisir ou horreur. Il n'y a donc pas de sensations qui seraient poétiquement dignes, et d'autres non. Chaque poète a sa mémoire propre, avec des secteurs propices à la parole, et d'autres moins. Ce ne sont pas seulement des interdits moraux qui bloquent l'articulation entre sensation, émotion et parole ; des partis pris esthétiques, politiques ou simplement l'histoire personnelle peuvent également freiner et réduire le spectre du poétiquement possible pour chacun.
Faut-il dépasser ces limites? Pas nécessairement, sauf si elles créent une frustration. Il me semble qu'on peut travailler aussi bien horizontalement, c'est-à-dire multiplier et diversifier les prises sur le réel, que verticalement, et creuser quelques sensations que l'on sait décisives.

 


ANTOINE EMAZ
André Du Bouchet

Manque, moteur blanc jusqu'à oeuvre à force de jours visant ces instants de sur-voir, comme inspirés si l'on veut, mais surtout de l'ordre d'une puissance d'étonnement, d'une disponibilité d'oeil qui s'investit toute entière dans l'interstice d'un "c'est", d'un "il y a ", brusquement, tel éclat. Pas plus. Mais cela ramené à bout de main et de mots: un liseron ou une luzerne, quasi rien, mais cela est, tenu au point uù le lecteur commence lui aussi à voir un liseron ou une luzerne. Pas plus, mais cela, d'un coup, donné.

 

Jean-Michel Place, 2003


ANTOINE EMAZ
Lichen, lichen

"Les morts s'éloignent et restent : ils sont comme les arbres, on ne les voit plus que de temps en temps, mais ils prennent toute leur place, grandissent, se développent, avec une discrétion que les vivants devraient leur envier. "

Rehauts, 2003

Rehauts, 2003


Deyrolle, 1997

ANTOINE EMAZ
Boue

poser encore
quelque chose comme un ciel
ou un linoléum

quelque chose comme bleu

bleu débandé
et bleu encore ensuite après

sans pouvoir en finir

l'important n'est pas d'être là
on le saurait
mais d'être encore pourtant

sans être sûr

 

 


ANTOINE EMAZ
Peu importe

mots pâles
aimés

très peu de mots reviennent
d'eux-mêmes sous la main

simples

un bercement un calme
comme ondulant sur l'étendue des pages
un chant à bouche fermée sans âge

usées comme mains
mots seuils
sans rides possibles

 

Le dé bleu, 1993


Deyrolle Editeur, 1992

ANTOINE EMAZ
C'est

"on se réveille avec elle
on ne la tiendra pas en laisse
jusqu’au soir

son remous commence

Peur. Ce dans quoi on entre au-delà du seuil..."

"...un enfouissement lent
de ce qui a été
précis ou violent ou souffrant
dans le neutre"


échOptique, 1989

ANTOINE EMAZ
Poèmes Communs

" temps complet
nerfs coupés
on va sur l’erre

finir le jour
avec pour seul désir
se libérer du jour
l’effacer se dissoudre
dans la nuit qui monte

un très lent mouvement d’essuie-glaces

on ne s’habitue pas ..."

"à force d’usure
la transparence des mots
peut sembler rejoindre
celle de vivre
tous les jours

lumière neutre
sur les arbres
aussi bien que la mer
ou les corps

lumière d’être
simple

et les mots tranquilles dorment
d’un sommeil de bêtes mortes

de fatigue "