YVES CITTON
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YVES CITTON
Faire avec
Conflits, coalitions, contagions

" La casse la plus dramatique, qui est encore largement devant nous, touche toutefois non seulement à nos niveaux de revenu, mais à la viabilité même de nos milieux d’existence. C’est tout notre modèle économico-politique basé sur une croissance illimitée qui vient se fracasser contre le mur climatique, énergétique et biologique – avec les températures qui montent en flèche et la biodiversité qui s’effondre."

"Notre conjoncture actuelle, inédite, se caractérise par le tressage d’une triple pression émanant
1° des contraintes planétaires du nouveau régime climatique, de l’épuisement des ressources et de l’effondrement de la biodiversité,
2° de l’enchevêtrement logistique de nos chaînes d’approvisionnement,
et 3° de la communication virale des images, des sons et des discours par nos réseaux de médialité. Le nœud de cette triple planétarisation se serre autour de questions d’inégalités – inégalités héritées des régimes antérieurs (colonisations, exploitations, discriminations, dominations), inégalités redimensionnées et parfois exacerbées, mais surtout inégalités rendues de plus en plus insoutenables par les mouvements de cette triple planétarisation. Ces inégalités constituent à la fois le foyer, le combustible et l’huile sur le feu des conflictualités qui nous menacent. "


"Ce « faire avec » ne relève en rien d’une résignation fataliste. Il prend acte de nos faiblesses, de nos vulnérabilités et de nos limites pour orienter nos forces et nos impatiences vers la permaculture d’un monde de diversités, où nos minorités puissent coexister sans (trop) s’opprimer."


YVES CITTON
JACOPO RASMI
Générations collapsonautes

Naviguer par temps d'effondrements

"Comment reconnaître que nous allons subir des effondrements en chaîne, sans pour autant nous résoudre au pire ? Comment échapper à la paralysie et à l’inertie, tandis que nous occupons simultanément, ou alternativement, les places du lapin ébloui par les phares et du conducteur grisé par la vitesse ? Comment regarder en face ce qui est sur le point de nous écraser, alors que ce sont nos espoirs et nos rêves de prospérité qui s’effondrent sur nous ? Davantage qu’à répondre à de telles questions, notre effort visera à les défléchir. En croisant nos regards, nous espérons faire émerger d’autres façons de voir et de penser les effondrements qui nous menacent. Non tant pour les conjurer que pour en esquiver les pires effets – voire pour y trouver des occasions de rebonds salutaires. La sensibilité effondriste, telle qu’elle s’affirme dans le débat contemporain, constituera pour nous un prisme – observé par de multiples perspectives – à travers lequel repérer et discuter les nœuds, les trajectoires et les possibles de notre époque hantée par la question écologique."


" La collapsologie est donc le discours ainsi que le savoir prenant pour objet un avenir voué à faire l’expérience douloureuse d’un effondrement 1° généralisé, 2° simultané et 3° dû à des réseaux d’inter- et d’intra-dépendances constitutifs des entités considérées. "

"Tout fait tellement système, réseau d’interdépendances enchevêtrées, château de cartes et ville de dominos, que nous allons fatalement heurter un imprévu, dont l’impact se répandra de proche en proche dans toutes les régions et dans tous les aspects de nos coexistences mondialisées. Avec toutefois cette particularité que « l’imprévu » en question ne sera probablement pas un choc extérieur, comme la bombe atomique a pu l’être pour deux villes japonaises en 1945, mais une hémorragie ou un grippage internes – qu’il s’agisse du dysfonctionnement d’un parc nucléaire, d’une panique bancaire ou des effets, encore imprévisibles mais annoncés avec de plus en plus d’insistance par les études scientifiques, de dérèglements climatiques ou biologiques. Plus nos existences s’isolent de leurs environnements potentiellement hostiles pour se protéger au sein de ce que le romancier Alain Damasio a baptisé « techno-cocons », plus ces protections reposent sur des réseaux d’interconnexion dont le pouvoir tient à leur étendue et à leur intensité, et plus les risques se déplacent du niveau de l’individu à celui du système."

" Qu’est-ce que la globalisation, de ce point de vue, sinon l’écoulement des capitaux vers les bassins d’emploi dont les taux de rémunération et les niveaux de protection socio-environnementale sont les plus bas – avec pour effet, sous condition de compétition généralisée, d’entraîner l’affaissement des planchers d’existence et de revendication pour toutes celles et ceux qui se trouv(ai)ent au-dessus des minima ? Tout l’édifice, vu de l’extérieur, peut bien paraître tenir debout. On peut même passer régulièrement sur l’ensemble une couche de peinture fraîche, au nom de l’innovation managériale ou de la révolution numérique. Mais des fuites souterraines, par voie de vases communicants, vident de l’intérieur les forces qui assuraient le fonctionnement du système. "

"Être terrestre, c’est se méfier d’une certaine arrogance inhérente aux vues en surplomb fournies par les GPS, les avions, les gratte-ciel et les miradors. C’est raisonner à partir de ses attachements au sol (bien davantage qu’aux racines), en envisageant l’horizontalité des possibles avant de se projeter dans les rêves de décollage, ou de s’abîmer dans les vertiges d’effondrement."

...d’autres habitudes d’engagement." Ces nouvelles attitudes devront être 1° dé-coloniales, pour neutraliser en nous et hors de nous les traditions et les réflexes de domination monoculturelle qui poussent certains humains, éduqués dans certains environnements, à considérer comme normale la subordination d’autres êtres vivants à leurs intérêts et à leurs finalités particulières. Les nouvelles habitudes gagneront à être 2° dé-polémiques, pour neutraliser en nous et hors de nous les appels à constituer des ennemis auxquels faire la guerre (autant rhétorique que physique), alors que le plus important est de localiser les causes des conflits dans les structures relationnelles qui rendent nos visées et nos besoins antagonistes, ainsi que de cultiver les solutions alternatives déjà émergentes, mais en mal de soutien. Enfin, ces attitudes devront apprendre à être 3° dé-compétivistes, pour neutraliser en nous et hors de nous les raisonnements qui exacerbent la compétitivité (individualiste, identitariste, nationale), là où la reconnaissance de notre incomplétude doit nourrir des relations de complémentarité et d’entraide contribuant bien plus réellement à notre survie et à notre bien-être."

sur Radio Univers


YVES CITTON
Médiarchie

"Les media modulent des vibrations dont les contrastes produisent à leur tour d'autres intensités et, avec elles, de nouveaux tissus de relationalité." Mark B.N. Hansen

"De même que nous respirons sous condition de la présence d'oxygène dans notre atmosphère et que nous survivons sous condition de la présence d'eau potable dans notre environnement, de même la plupart d'entre les Terriens de ce début de troisième millénaire voient le monde comme ils le voient sous condition de l'environnement perceptuel et idéologique dans lequel les immergent les média auxquels ils ont accès."

"La médiarchie, c'est le pouvoir premier, originaire, du médium (entendu comme moyen de communication) sur ceux qui croient s'en servir au sein d'un milieu de perception qu'en réalité ce médium conditionne. Nous vivons en médiarchie dès lors que nos appareils de communication structurent de l'intérieur nos dispositions attentionnelles (Merkwelt), et donc nos capacités d'orientation, en organisant nos milieux d'action ( Wirkwelt) d'une façon qui excède toujours un peu notre contrôle intentionnel. "

"Vue intérieur de ses tuyauteries, l'intrastructure numérique s'avère beaucoup plus vulnérable et bricolée que n'en donnent l'impression à la fois ses brillantes apparences de consumérisme instantané et dénonciations d'implacable surveillance totalitaire dont elle fait l'objet. [...] Analysée dans sa matérialité plutôt que dans ses illusions idéologiques, l'ubiquité flottante du nuage est bien moins une affaire de satellites et d'avatars virtuels que de hangars climatisés et de câbles sous-marins."

"Seuls le petit enfant et l'artiste ont cette immédiateté d'approche (immediacy of approach) qui permet la perception de l'environnemental. L'artiste nous fournit des anti-environnements qui nous rendent capables de voir l'environnement. De tels moyens anti-environnementaux de perception doivent constamment être renouvelés pour être efficaces. [...] En une époque de changement accéléré, le besoin de percevoir l'environnement est devenu urgent. L'accélération rend aussi cette perception de l'environnement davantage possible. N'est-ce pas Bertrand Russell qui a dit que si l'eau du bain n'augmente que d'un degré par heure, nous ne saurons jamais quand crier? Les nouveaux environnements reconditionnent nos seuils de sensibilité. Ceux-ci, à leur tour, altèrent nos perspectives et nos attentes". M. McLuhan

lire ici

Carlo Zinelli

"L'étrange paysage de médialité servant de vignette de couverture à cet ouvrage est l'œuvre de Carlo Zinelli (1916-1974), qui a passé les trois dernières décennies de sa vie interné dans l'hôpital psychiatrique San Giacomo de Vérone. [...] Elles illustrent les puissances des «média», en nous donnant accès à des mondes très éloignés de notre environnement quotidien, générant des résonances sensibles et affectives proprement bouleversantes. Leur univers est structuré par des effets de sérialité et d'échelles bien propres à diffracter notre imaginaire commun des «médias», organisé en masses de zombies alignées autour de célébrités surdimensionnées. Considéré comme schizophrène, Carlo Zinelli opérait comme un « médium » communiquant avec des forces et des entités que notre ordre social peine à reconnaître et à accepter. Ces différents registres de médialité sont mis en scène par des tableaux en forme de coupes verticales, où différentes strates d'agents superposées coexistent sans se combattre ni s'harmoniser. Ces peintures constituent des visions de médiarchie - où la voyance de Carlo Zinelli exprime figurativement ce que les chapitres qui suivent tenteront de formuler conceptuellement"


YVES CITTON
Pour une écologie de l'attention

"Voilà l'objet de l'attention individuante, telle que nos expériences esthétiques en fournissent à la fois un modèle réduit et une épreuve grandeur nature, une occasion d'exercice pratique et de réflexion critique. Savoir choisir ses aliénations et ses envoûtements, savoir construire des vacuoles de silence capables de nous protéger de la communication incessante qui nous surcharge d'informations écrasantes, savoir habiter l'intermittence entre hyper-focalisation et hypo-focalisation - voilà ce que les expériences esthétiques (musicales, cinéphiliques, théâtrales, littéraires ou vidéoludiques) peuvent nous aider à faire de notre attention, puisque l'attention est tout autant quelque chose que l'on fait (par soi-même) que quelque chose que l'on prête (à autrui)."

 

 




Planète IO , le 4 avril 2013

 

L'économie de l'attention
sous la direction de Yves Citton

Avec des contributions de Franco Berardi, Daniel Bougnoux, Dominique Boullier, Jonathan Crary, Georg Franck, Christophe Hanna, Jean-Philippe Lachaux, Sandra Laugier, Pierre Le Quéau, Matteo Pasquinelli, Anthony Pecqueux, Julien Pierre, Martial Poirson, Claudia Roda, Adrian Staii, Bernard Stiegler, Henry Torgue.

Bernard Aspe:"La réussite du capital ne tient pas à l'atomisation des individus, mais à ceci qu'il réussit chaque jour, pour chacun, à transformer « Le temps presse » en « Je n'ai pas le temps ». Si les sujets, aujourd'hui, ne sont pas dans la lutte, ce n'est pas parce que cette dernière ne serait pas à leurs yeux justifiée, ce n'est pas même d'abord parce qu'ils auraient peur de ses conséquences, c'est avant tout parce qu'ils n'ont pas le temps de la mener."

Si une politique authentiquement démocratique exige d'interrompre cette économisation étouffante de l'attention, qui ne nous laisse pas le temps de questionner la désorientation de nos économies, alors on peut espérer que la lecture d'un volume consacré à l'économie de l'attention puisse constituer un premier pas aidant à une réappropriation, indissociablement individuelle et collective, de notre temps, de notre attention, de nos économies et de nos devenirs politiques.


YVES CITTON
renverser l'insoutenable

 

"Si le capitalisme a commencé par remplacer le travail (physique) humain par des machines, s'il parvient de plus en plus à transférer vers des ordinateurs les tâches de computation jadis attribuées à nos cerveaux, il a désormais besoin - au fur et à mesure que la production de richesse se déplace vers les services, la vente, la communication, l'éducation, le care - que nous soyons capables d'accomplir des fonctions intellectuelles et relationnelles en mode de pilotage automatique. Il lui faut donc de plus en plus produire ce monstre langagier et conceptuel que sont les "subjectivités désubjectivées"

"Bien davantage que la conduite des conduites par des processus de subjectivation, c'est le pilotage automatique des conduites par des sémiotiques a-signifiantes qui caractérise la particularité historique du régime de pouvoir actuellement dominant."

"Ainsi qu'en témoignent les développements complémentaires de l'industrialisation et de la finance, le capitalisme est animé par un double besoin de traduction et d'automatisation. L'horizon qu'il vise est celui d'une traduction automatique : la finance, la Bourse, l'audimat, les sondages, les prix du marché, les comités d'évaluation et les agences de notation sont les opérateurs actuels de ce travail de traduction, qui n'investit et n'envahit les subjectivités que pour les automatiser autant que possible."



"Tous nos actes, en même temps qu'ils sont dotés d'une finalité particulière, sont aussi des gestes, dont nous savons qu'ils s'inscrivent nécessairement dans une dynamique de spectacle. Que je sois directeur du FMI ou petit fonctionnaire, artiste ou contremaître, je dois prendre en compte la possibilité que quelqu'un ou quelque chose (un statisticien, un vidéosurveillant, un enquêteur de la DGS, un journaliste, un publicitaire, une base de données, Google, Facebook) m'observe en train de faire ce que je fais : visiter un site Internet, ouvrir la porte de ma chambre d'hôtel, passer un coup de téléphone depuis tel endroit, acheter telle marchandise, plaisanter dans un courriel, prendre un avion. Il m'est de plus en plus difficile (et de plus en plus dangereux) de ne pas savoir que tous mes comportements laissent des traces, digitalisées, enregistrables, exploitables par des enquêtes policières ou par des algorithmes de profilage.
En général, nous nous contentons de subir ce dédoublement de nos existences entre ce que nous vivons et ce qui s'enregistre de nos comportements. Dès lors que nous savons être toujours potentiellement soumis à un regard panoptique, nous sommes conduits, comme l'ont souligné tant de philosophes de Jean-Jacques Rousseau à Jean-Paul Sartre, à dédoubler notre « être-pour-soi » d'un « être-pour-autrui » susceptible de nous « aliéner » et de nous faire choir dans l'"inauthenticité".


"Nos médiocraties sont donc à concevoir comme d'énormes dispositifs de traduction - au sens à la fois large et précis que Michel Callon et Bruno Latour ont donné à ce terme qui désigne chez eux « tous les déplacements assurés par d'autres acteurs dont la médiation est indispensable pour qu'une action quelconque ait lieu », les « chaînes de traduction renvoyant au travail par lequel les acteurs modifient, déplacent et traduisent leurs intérêts variés et contradictoires ». Une part énorme (et croissante) de nos activités productives est consacrée à ce travail de traduction, d'organisation, de synchronisation, et derrière la fausse évidence que les médias sont destinés à « communiquer des informations », c'est bien la fonction générale de rendre compatibles des « intérêts variés et contradictoires » qu'il convient de leur reconnaître. Au sein de nos médiocraties, de ce point de vue, le « pouvoir » repose sur la capacité à traduire à la fois des finalités et des normes d'interopérabilité, de façon à ce qu'elles se diffusent au sein du tissu social (selon les dynamiques d'observation, de production et de sélection de schémas, de thèmes et de différences bien analysées par Luhmann)."



sur radio univers

YVES CITTON
Zazirocratie
Très curieuse introduction à la biopolitique et à la critique de la croissance

La thèse générale sur laquelle débouche ce livre pourrait s'exprimer succinctement de la façon suivante : l'idéologie de la Croissance capitaliste ainsi que les théorisations biopolitiques qui en sont aujourd'hui proposées à la suite de Foucault et Deleuze partagent une même insuffisance : celle de penser la Croissance à partir d'un imaginaire essentiellement végétal. Or un tel imaginaire tend à éluder le problème de l'orientation de la Croissance, dans la mesure où une plante n'a pas à se poser de question pour savoir dans quelle direction pousser (elle pousse « naturellement » vers le haut, le soleil, la lumière). Le défi central de notre époque - pour les « libéraux » comme pour la « gauche » (et la « gauche de la gauche ») — n'est donc pas tant d'affirmer le caractère biopolitique de nos modes de production actuels que de sortir du modèle végétal de la Croissance qui a imprégné la modernité capitaliste jusqu'à présent. En même temps que la mondialisation nous déterritorialise de jour en jour davantage, ce modèle végétal, enraciné dans un sol familier, fondamentalement immobile et tendu vers la lumière d'un astre unique, s'avère de moins en moins opératoire. Affirmer qu'un autre monde est possible exige de nous repérer au sein de la multiplicité d'attracteurs vers lesquels nous pouvons tendre, de reconnaître la contingence et la fragilité des directions que nous choisissons de prendre, de mesurer la mobilité ainsi que les inerties de nos modes de vie - bref : de réorienter notre Croissance.


YVES CITTON
Mythocratie

Au-delà de ces chevaux de bataille traditionnels de « la gauche » historique (pouvoir d'achat, travaillisme, étatisme), il conviendrait de se méfier comme de la peste de tous les mots d'ordre, apparemment séduisants, qui relèvent d'une « bonne gouvernance » souterrainement inféodée au fétichisme quantificateur du PIB. Accepter de promouvoir la « compétitivité », l'« excellence », la « transparence », l'« efficience », la « responsabilisation comptable », comme s'astreignent à le faire de nombreux dirigeants avides de donner à « la gauche » un ton rénovateur, modernisateur, éclairé, responsable, non dogmatique, voilà bien la trahison la plus insidieuse (et la plus chèrement payée en termes de dommages politiques) dont puissent souffrir les mouvements dont ils se réclament.
Ne serait-ce qu'à titre de provocation, il faut soutenir que c'est l'idée même de gestion du donné qui est à considérer aujourd'hui comme l'ennemi principal de toute politique progressiste.



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