PAOL KEINEG
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PAOL KEINEG
Johnny Onion descend de son vélo

"...Ce matin il a descendu dans son jardin
pour y cueillir le romarin,
il a sorti de son jardin,
il marche sur les chemins de terre,
il partage avec les cochons
l'échec des jours prometteurs,
du bout du pied
il pousse devant lui un caillou
de grande beauté,
il est aux prises avec la vie
comme s'il venait de naître,
un corps sort d'un corps, ajoute-t-il,
et tout de suite
il entre dans les besoins corporels,
les difficultés matérielles.
Tout appétit de vivre
se nourrit du refus des règles.
Humble devant le caillou
il dit à qui voudrait ne pas l'entendre :
ne soyez pas chiens avec les humains,
soyez bons avec les chiens,
yap yap wouf wouf."






Paol Keineg donnera une lecture d’extraits de son livre le plus récent, Johnny Onion descend de son vélo, paru cette année aux éditions Les Hauts-Fonds.
Paol Keineg est sans aucun doute le poète vivant le plus important issu des terres armoricaines. Son livre inaugural Le poème du pays qui a faim, publié en 1967, fut à l’époque un événement considérable et participa au réveil culturel breton. Écrits en breton ou, le plus souvent, en français, de nombreux recueils et pièces de théâtre ont nourri cette œuvre exigeante, sans cesse renouvelée, parlant pour le peuple autant que pour l’homme.
Johnny Onion descend de son vélo est un ensemble de poèmes écrits en souvenir des vendeurs d’oignons du Finistère nord qui, du début du XIXe siècle jusqu’aux années soixante-dix, se rendaient par nombre au Pays de Galles pour y proposer de porte à porte leur marchandise. C’est à eux que Paol Keineg rend hommage à sa façon, leur redonnant vie à travers deux aventuriers parfois déconcertants, Johnny Onion en premier lieu, et Lakez Du, son interlocuteur privilégié. Livre de beaucoup d’esprit, mêlant humour et témoignage,

« La vie à vélo
quand on se nourrit de patates
est une vie d’élévation perpétuelle.
Du haut de la machine
les yeux voient loin,
le nez recherche les odeurs de cuisine
et de chambre à coucher. »


Dans un article paru sur Remue.net, Jacques Josse note : « Derrière Johnny Onion, il y a évidemment le regard subtil et la poésie très efficace de Paol Keineg. Il mêle (avec finesse, légèreté et humour) anecdotes, réflexions, observations, interrogations, scènes de la vie quotidienne, couleurs du ciel, variations des paysages, humeurs changeantes des oiseaux et bien d’autres choses encore pour bâtir un livre d’une fraîcheur stimulante. Il continue, comme dans ses précédents titres, de bouger, de bouturer, de revivifier son texte. Il va là où on ne l’attend pas, défriche sans relâche et poursuit, amplifie son œuvre en gardant intact et solide le lien qui le relie à cette terre qui le porte. Et sur laquelle ont vécu, il n’y a pas si longtemps, Johnny Onion et ses semblables. »

« Johnny Onion dit à Lakez Du
qui roule une cigarette :
un homme de mon âge
tant qu’il n’aura pas vécu à perte
ira puiser dans les cailloux
la force du déraisonnable. »

Jean-Claude Leroy

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Jacques Josse, Alain Le Saux, Bruno Duval, Paol Keineg
 


PAOL KEINEG
Mauvaises langues

"Faire glisser sa plume
sur les méchancetés du monde -
il faudrait être fou
de ne pas répondre à l’espoir que font naître

les choses sans importance,
avec obligations réciproques
et salut
aux entraves de la langue. "

" la vraie vie n’existe pas,
l’autre, la pas vraie,
aux soirs d’hirondelles mentales,
suffit. "


PAOL KEINEG
DES PROSES
qui manquent d'élévation

À la fenêtre

"Front contre la vitre froide, je tente de retrouver mon chemin dans les débris d'un rêve qui s'éloigne à la vitesse d'un astre. Sous la lune, tous les champs sont gris. Les arbres tremblent, parce que ce sont des trembles ; les chats chassent de mémoire. Dans le noir du fin fond de la vallée, il se passe des choses. Il faudrait y aller voir. Il n'est pas question de bouger."

Ascendance, descendance

"Ne pas se vanter de son ascendance, de crainte de n'en jamais connaître les misères sans nom, et se taire sur sa descendance parce qu'elle ne sait pas encore ce qui l'attend. Quand je tends l'oreille, j'entends le bruit du banc qu'on rapproche de la table, et les petits mangent à genoux pour atteindre l'assiette."

Cailloux, en tas

"À l'entrée du grand champ qui descend vers Kerzaniel, où selon l'année on cultivait le froment ou la pomme de terre (cela remonte à l'époque reculée d'avant le maïs), les cailloux sont des cailloux, et rien d'autre. On peut les trouver beaux, ou pas mal, ça dépend, et mis en tas au bord du chemin, ils prennent une dureté coupante qui retient l'attention. Le tas de cailloux, étranger à l'interprétation, n'a jamais servi à lapider."

Déchets de lumière sur les Montagnes Noires

"Tous nos systèmes de pensée reposent sur une certaine façon de dire dans un même souffle: c'est vrai c'est beau. Même l'hirondelle s'échauffe à l'idée que le départ pour l'Afrique est imminent. Le téléphone a sonné : adieu la terre, couleur de chanteuse aveugle. Mon cœur ne bat plus que pour le mur où se dépose un soleil de fin d'été."

 


PAOL KEINEG
Abalamour

"J'ai en moi l'amour
du hibou
venu se jeter dans les fils électriques"

"...le presque pas de vie que j'ai devant moi, qu'est-ce que je
peux en faire, pas la peur de mourir, pas l'orage, pas le travail de
l'oubli, pas la sagesse inhumaine, pas les mots trop riches, pas
la glose, pas d'accord."

"A l'autre bout
de la filière du porc,

les guerres travaillent
à l'uniformisation."

ABALAMOUR (ma, da) - Parce que, à cause de.


PAOL KEINEG
Terre lointaine

Casement. - Vous le trouverez, tout comme vous trouverez des gens qui ne nous ont pas attendus pour vivre.
Joseph Conrad. - Que voulez-vous dire ?
Casement, se dirigeant vers une carte de l'Afrique. - Il y a cinq ans, cette tache bleue était blanche. Sous le bleu d'aujourd'hui, que trouve-t-on ? Une bande d'assassins à l'œuvre, du sang jusqu'aux coudes. Je tire un trait d'ici à ici : de la femme en sueur, affamée, qui court d'hévéa en hévéa, à la canaille couronnée d'Europe qui ne connaît du Congo que les rapports d'experts et l'irrésistible montée des bénéfices. Ça, c'est l'Afrique.
Joseph Conrad. - Dites encore.
Casement. - Non, il ne faut pas me lancer sur ce sujet-là. Je prêche et j'en deviens ridicule. C'est l'Irlandais qui parle. Les exactions, la dépossession, la famine, l'exode, je connais.
Joseph Conrad. - Ici la Pologne : le reniement, le dégoût de soi, le sinistre patriotisme, je connais.



PAOL KEINEG
Là, et pas là

Petite idée qu'on risque en tout lieu, du côté des piétinements, le contact bleu du ciel, à la garde de mots quand même pessimistes, haies orientées, herbe limpide, détails que tout ça à l'intérieur de la page, silence, répétition, bien au-dessus de mes forces.






Maison de la Poésie, Rennes, mars 2011


YVES DENNIELOU
Le Mur de Berlin ou la cueillette des mûres en Basse-Bretagne

viens me dit-elle
dans les cuisines de formica
mon chant d'inexactitude
par de longs exercices sur la toile cirée
c'est un peu autobiographique
évidemment
les casseroles et la cafetière bien au chaud

on se rappelle les débuts du monde écrit
on fait le tour des procédés
la grande coupure
les conceptions horizontales du temps
j'ai vécu doublement
langue double sujet double
suicide
aujourd'hui il me pousse du poil
sur le bord des mains
dans les narines
je regarde vieillir mes doigts en écrivant


CHANN LAGATU

Journal d'un voyage à pied
le long de la rive sud
de la rade de Brest
en hiver

Par un matin clair, la joie de n'être jamais content de soi.

Gueuler contre le monde n'est pas donné qu'aux goélands.

Les coqs de fumier ont des chants triomphaux qui tracassent

 



PAOL KEINEG
Les trucs sont démolis

Il n'est pas de frontière entre hier et demain, pas plus qu'entre la vie et la mort,

ni grosse ardoise levée, ni tremblement de ruisseau, mais un commerce

large et spongieux de tous les instants, une profonde contagion des années et des siècles, au-delà des paupières noires de la nuit,

au-delà de la rotation des continents, des maternités océaniques,

le libre accès au temps par les fourmillements et les fulgurations de la mémoire,

la libre circulation du temps par l'agitation vigoureuse de l'esprit,

la possession du temps.