WALLACE STEGNER
Accueil

1990

WALLACE STEGNER
Le goût sucré des pommes sauvages

La légende qui conviendrait à la photo dans sa globalité est « Génie glandulaire ». Je suppose que, si l'on a une approche sentimentale de la sensibilité artistique ou si l'on est fasciné par les personnalités névrotiques, il est possible de regarder un visage comme celui de ce Kaminsky avec attention, respect, avec peut-être même de la compassion et une angoisse partagée. Il présente tous les stigmates du genre, et c'est un genre auquel certains sont sensibles. En revanche, si vous êtes le vieux Joe Allston, qui eut en son temps affaire à bon nombre de génies glandulaires ombrageux, vous considérez ce visage avec méfiance sinon répugnance


1987

WALLACE STEGNER
En lieu sûr

"En fait, si l’on pouvait chasser la mort de son esprit, et c’était plus facile en ce temps-là ici que dans la plupart des autres endroits, on pourrait vraiment croire le temps circulaire, et non pas linéaire et vectoriel ainsi que notre culture tend à le prouver. Vus dans une perspective géologique, nous sommes des fossiles en herbe, qui seront ensevelis et pour finir remis au jour à la grande perplexité de créatures d’ères à venir. Considérés en termes de géologie ou de biologie, nous ne présentons pas d’intérêt en tant qu’individus. Chacun d’entre nous ne diffère pas tant que cela du voisin, chaque génération reproduit la précédente, ce que nous édifions et qui doit rester après nous n’est pas plus durable qu’une fourmilière et bien moins que des récifs coralliens. Tout ici se reproduit, se répète et se renouvelle, et l’on peut à peine distinguer le présent du passé."


WALLACE STEGNER
L'envers du temps

"La grand-route qui rejoint Salt Lake City par l’ouest contourne l’extrémité méridionale du Grand Lac Salé à hauteur de Black Rock et de ses grèves miteuses, oblique vers le nord en laissant derrière elle les fumées des hauts-fourneaux, pique vers le lit asséché du lac, où, il y a longtemps, les dômes du Saltair Pavilion se dressaient comme une exhalaison d’Arabie, puis elle s’oriente de nouveau vers l’est. Là-bas droit devant, par-delà l’étendue blanche, la ville est un mirage ou une peinture murale : des tours d’affaires, puis des maisons et des rues encaissées, et enfin la paroi montagneuse."

 

1979


1976

WALLACE STEGNER
Vue cavalière

"Vieillir, c'est un peu comme de se tenir dans une longue queue qui progresse lentement. A danser d'un pied sur l'autre. On sombre dans une espèce de torpeur dont on ne se réveille que lorsque la file vous permet d'avancer d'un pas supplémentaire en direction du guichet."


WALLACE STEGNER
Angle d'équilibre

"Je pense qu'ils vont désormais me ficher la paix. ll est clair que Rhodman venait ici dans l'idée de relever une preuve de mon incapacité - encore qu'il doive avoir du mal à s'expliquer comment un inapte a pu retaper cette maison, y faire porter sa bibliothèque et s'y transporter lui-même sans éveiller les soupçons de sa vigilante progéniture. Je suis assez fier de la façon dont j'ai mené toute l'opération. Et il est reparti dans l'après-midi sans la moindre parcelle de ce qu'il nommerait des données. "

1971


1967

WALLACE STEGNER
La Vie obstinée

"Je n'étais pas descendu depuis une demi-heure que la pluie s'est mise à tomber. Elle est arrivée sans bruit en lisière d'une dépression venue du Pacifique qui doit en ce moment même déverser des seaux sur l'Oregon. Je contemplais tranquillement de la fenêtre de mon bureau les ors glauques du demi-jour qui jouaient sous le chêne vert., un oeil sur un verdier qui fourrageait dans les feuilles mortes, quand j'ai tout à coup noté que le lointain, bien au-delà du rideau d'arbres, se striait de crachin. "


1955

WALLACE STEGNER
Lettres pour le monde sauvage
Traduction de l'anglais (Etats-Unis) de Anatole Pons-Reumaux

 " Auprès d’une telle rivière, il est impossible de croire que l’on sera un jour pris par l’âge et la fatigue. Chacun des sens fête le torrent. Goûtez-le, sentez sa fraîcheur sur les dents : c’est la pureté absolue. Observez son courant effréné, le constant renouveau de sa force ; il est éphémère et éternel. Et écoutez-le bruire de nouveau : éloignez-vous suffisamment pour que le son de tonnes d’eau qui tombent cesse de vous assourdir, et prêtez l’oreille à tout ce qui se passe en dessous – une symphonie entière de petits bruits, de sifflements et d’éclaboussures, le bavardage des chenaux secondaires, le murmure des gouttes soufflées et éparses qui se retrouvent pour souffler de nouveau, secrètes et irrésistibles, au milieu des rochers humides. "

 "Murphy était en fait un affable cow-boy du Montana, ivrogne, sentimental, sans doute malhonnête et dans l’ensemble inoffensif, comme des dizaines d’autres."


WALLACE STEGNER
La Montagne en sucre

"Le convoi brimbalait en rase campagne lorsque enfin Elsa parvint à chasser la tristesse du départ pour ne plus songer qu'à sa délivrance. Elle rangea son mouchoir , s'accota à la vitre crasseuse et se prit à regarder les fils du télégraphe s'incurver de poteau en poteau, à contempler les arbres, les fermes éparses qui glissaient sans heurt vers l'arrière en une interminable déclinaison de maisonnettes blanches, de granges rouges et de champs de blé. Chaque mille parcouru était un pas de plus vers la libération."

1943


 

WALLACE STEGNER
Une journée d'automne

"Durant toute la fin de la matinée, les véhicules s’étaient succédé depuis la grand-route pour s’engager dans la longue allée bordée d’ormes menant à la propriété : des buggys et des chars à bancs pour la plupart, quelques broughams, et plus rarement encore, une automobile dont le laiton étincelait dans les rayons du soleil qui filtraient entre les arbres. Quand sonnèrent 11 heures, une longue file de voitures s’alignait à touche-touche contre l’épaisse haie d’épicéas bordant la cour au nord et à l’ouest, et la maison bourdonnait des voix feutrées de nombreux visiteurs."

1937