ROGER LAHU
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Portraits du poète en....


Portrait du poète contemplant la lune un soir d’hiver

C'était, dans la nuit brune,
Sur le clocher jauni,
La lune
Comme un point sur un i.
(l’vieux Fred de M.)

 

nuit d’hiver   la lune oh non
n’écris pas
qu’elle doit se cailler les miches
et que tu penses aux fesses enfarinées
de brume
d’une boulangère voluptueuse
et à l’odeur
de croissants chauds
sortis du four
en pleine nuit d’hiver

trop tard tu l’as écrit

25/02/2013 19:42


Portrait du poète en zoophile intraverti

si j’avais un chien ou un chat
ou un hamster
voire un ornithorynque

j’écrirais le poème de mon chien ou de mon chat
ou de mon hamster
voire le poème de mon ornithorynque

n’ai aucune bestiole
plus ou moins domestiquée
dans mes alentours

mais quelques araignées
dans les poutres de mon plafond
je leur dédie donc ce poème

qu’elles y tissent* leur toile

 

21/02/2013 19:36

*Du latin textus (« tissu », « trame (du récit) », « texte »), participe passé du verbe texere (« tisser », « tramer »).
Le glissement sémantique entre le « tissu » et le « texte » se retrouve en français dans des expressions comme « trame du récit » ou « intrigue cousue de fil blanc ».


Portrait du poète en pianiste de jazz frustré

quand tu ressens
cet espèce de picotement
au bout des doigts
tu sais illico de quoi « il s’agit »
par vieille expérience
tu gardes ton calme
tu tires la planchette dessous l’ordi
pour sortir le vieux clavier de sa planque
en regrettant à chaque fois qu’il n’y ait que des touches noires
un clavier d’ordi avec des touches noires et blanches
en alternance tu préfèrerais

tu te mets à tapoter
le picotement au bout des doigts
cesse peu à peu

certains disent qu’ils écrivent des poèmes
tu te contentes de tapoter
sur ton vieux clavier
à touches uniquement noires
pour soulager le picotement agaçant
que tu ressens parfois au bout des doigts

même que des fois
ça ne soulage rien

mais des fois oui

21/02/2013 19:02



portrait du poète en colombophile contrarié

deux tourterelles s’aimaient and so on relisez
vos classiques mais ces deux là précisément
batirent nid sur une poutre de ma maison
et froufroutèrent dans mes airs proches

et puis un œuf chut

pourtant je vis de mes yeux vis s’envoler
de jeunes tourtereaux

quid de  cet œuf chu ?
de ces roucoulements  qui oncques ne roucouleront ?

ce poème sans ailes ni roucoulements
sera sa petite tombe
à cet œuf chu

et maintenant je me tais
faute de nid
où piailler dans le chaud d’un nid ?

rouououh  rououhouh   rourouhrouhrou 


portrait du poète « atteint » d’Alzeimer                 forcément

« faut-il qu’il m’en souvienne » G. Apo

les mots du poème je les oublie
à peine écrits oubliés couic cous coupés à la trappe à la trappe
les « fichiers » sont mal nommés
les « dossiers » sont déclassés
le poème se barre en claudiquant  sur ses petits jambes  torses
genoux cagneux et  constellés de croûtes tant il choit
le pauvre dans ses courses tortueuses
et vaines

finit toujours
par se faire épingler
« z’avez vos  fichiers ? vos dossiers   vos papiers ? »

non il ne les a pas
les as encore et toujours
oubliés
ses fichiers ses dossiers ses papiers

et ses mots

 

30/09/2011 19:13


portrait du poète en calfat exténué

je suis las assez dans mes « poèmes » las assez
de mettre encore et encore sur le tapis la question
la question pour moi    de  « la poésie »   pour moi
et las de cette lassitude que je m’impose
alors que  la question de « la poésie » n’en est pas une
pour personne d’autres que ces êtres las assez
que sont les écrivains de poèmes
j’aimerais  beucoup pouvoir écrire des poèmes délassés
je me dis ça : « il faut imaginer un poème heureux »
mais ça ne marche pas et je courbe le dos j’ahane et pousse
ma lassitude de « la poésie » jusqu’en haut du poème

toujours recommencé
 panier percé 
tonneau troué

ça  coule  de partout 
ça suinte
 ça      fuit

et les mots piètre étoupe !

21 septembre 2011


portraits du poète "en poires chues" 


portrait du poète en  piètre conquistador

à Vévé

 

                             « quand …et quand …et quand …  je comprends alors qu’il est grand temps de prendre le large » (Moby Dick  - page 1 du chapitre 1 « Mirages »)

 

il y eut un soir
il y eut un matin
la nuit vogua voile
 blanche toute déployée
entre ces deux amers

quelques insectes
« pris » dans la cire
d’une bougie morte
seuls trésors conquis

au bout de ce voyage à bord
d’une de ces nuits
qu’on dit « blanches »
comme une certaine baleine 

8   07  2011



portrait du poète visitant « partiellement » un château en sud-bourgogne

elle vise depuis
quand
sans arc ni fleche
archère zen
dans un parc de château
bourguignon  ?
elle vise
par delà
les grands buis taillés

à ses pieds des oies

  • oh foin des vieilles capitoles ! –

broutent ou comme les graminées
laissées à leur bel abandon

plus loin tapi dans l’ombre
d’immenses et étranges cyprés chauves
(Taxodium distichum)
arbres de lointains bayous
qu’un ancêtre exila

un ermite du Tao
en sa tenue camouflée
d’herbes
et d’écorces
me regarde
droit dans les yeux
(je les baisse)

visite « partielle » :
 les jardins , le potager  et les « salles 1900 »
5 euros


portrait du poète en bluesman  post-dylanien voulant s’ouvrir un troisième  œil

j’ai cherché dans ma mémoire
ah ça c’est vrai j’ai cherché
dans ma mémoire
un mot mantra puissant
pour ouvrir la porte de la perception
ou même le  Velux
ou  le vasistas
ou l’ œil de bœuf dans  le grenier empoussiéré de la perception

j’ai  juste trouvé
« clé à molettes »

j’ai frappé un grand coup

ah le joyeux bruit de verre brisé

et cet air frais …

maintenant faut réparer
les dégats

avant le prochain orage


portrait du poète en porteur d’eau (pour une fois)

 

en pogne gauche l’arrosoir vert
en dextre le seau rouge
pleins tous deux  à ras leurs bords
de l’eau dont je vais ondoyer
mes semis

  • le jour fut chaud –

me sens Jean le Baptiste
dans la lumière d’un soir de printemps
et les virevoltes pépillantes
des hirondelles

quelque part ailleurs
un enfant est mort de soif
ce « jour-même »

je le sais
je le sais  «que trop  bien »

 

22/04/2011 20:01


portrait du poète en tireur malhabile

je manque
ma cible
et de recul

et ai –eh eh - l’épaule démanchée
ma vieille pétoire
en a elle

du recul

je ne vise pas
juste devise
plaisamment

façon de « causer »
sans que ça ne tire
ni juste ni à
con séquences


portrait du poète en « tombeur *» avec la nuit

une nuit tombe doucement
le jour avec
ce jour ci
et cette nuit là

je n’ai pas encore
écrit de poème

la nuit qui tombe s’en contrefout
moi aussi « au demeurant »

mais n’empêche
qu’écrire un poème
juste pour accompagner
la tombée d’une nuit
et du jour avec

ça aide

à quoi ?
ne sais
ni ne cherche

à en savoir
« plus long »

03/03/2011 19:02


* ÉTYM. 1845; tombeor «  acrobate (qui faisait des culbutes)  », v. 1130; de 1. tomber, v. transitif.
 2  Fam. | Tombeur de femmes : séducteur aux nombreuses conquêtes— | C'est un vrai tombeur. è Don Juan, séducteur.


portrait du poète en sybille aphasique
(nuit noire)
« je vois…………………………………..
je vois…………………………………..
je vois…………………………………..
je vois…………………………………..
je vois…………………………………..
je vois…………………………………..
je vois…………………………………..
je vois………………………………….. »

(quelque part un volet claque violemment contre un mur
une voix rageuse crache :
« ta gueule ! »)


portrait du poète en  métaphysicien bègue

ça n’est pas « comme ça » que ça se passe
ça ne s’est jamais passé « comme ça »
ça ne se passera jamais « comme ça »

ça aurait pu
ça se pourrait même encore
mais non

-« ça n’empêche que ?» 

 

-non ! bien sûr que non !
- ben alors ? no problem ?

 

-qui a dit qu’il y avait un problème ?
- et une solution ?

 

-eh ! faut pas pousser trop loin  parce que :

 

ça n’est pas « comme ça » que ça se passe
ça ne s’est jamais passé « comme ça »
ça ne se passera jamais « comme ça »

20/02/2011 19:59


portrait du poète en pilier de petite sagesse

trois grains de sable
te font sahara suffisant
pour te sentir
« homme bleu »

tout en vidant
ton premier ballon
de rouge
et te souvenant
qu’un chameau
« blatère »
et que Peter O Toole
avait des yeux d’un bleu
technicholor
et panavision

 

19/02/2011 18:32


portait du poète en  faux tricheur chanceux

mots dés même pas
pipés
mais ébréchés

nulle tricherie
mais de l’usure

ne «roulent » plus  vraiment
cahotent

au hasard
de nos jets

parfois
421
ou triple 6
on dit « poème »

juste coup de pot

17/02/2011 18:26


portrait du poète en freak inconséquent  

écrire un poème
c’est se ballader    nu  sans armes
dans un champ de mines « anti personnelles »
jonché de squelettes et de cadavres pourrissants

chaque mot
est piègé

le mot « écrire »
le mot « poème »

BANG !
ça y est    encore
  une jambe en moins

16/02/2011 18:38


portrait du poète en violonneux de campagne d’antan

« poète prends ton luth et me donne un baiser » (Fred de Musset)


 

je gratte et gratte
doigts gourds       sans mitaines
mon  piètre  crincrin désacordé
valses bourrées gavottes
les mots aimeraient tant danser
et couacs et couacs
et fausses notes
une corde vient encore
de péter
et mon archet s’effiloche

la belle noce
va mal tourner

10/02/2011 19:05