ROGER LAHU
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DE LA POESIE ET DES ARTICHAUTS
DANS LEURS ŒUVRES VIVES

à   Antoine E.

Hommage à Antoine Emaz
Antoine Emaz avec Philippe Longchamp
lectures par Françoise Huguet
Cycle L'Arsenal de la poésie. Grands poètes d'aujourd'hui
Conférence du 12 avril 2010 à la BnF

 

J’interromps l’écoute de la dite conférence après 12 minutes 33 exactement .
Non qu’elle m’ennuie , mais parce que je t’ai entendu prononcer le mot « artichaut » et tu précisais en souriant  à son propos que tu ne l’avais jamais employé dans un poème .
Ce mot « artichaut » me reste en tête et gène mon écoute de la conférence .
Envie de divaguer un peu autour de ce mot « artichaut »
De me laisser emporter de ça de là pareil à la feuille … d’un artichaut .

Artichaut et poème

On mange les artichauts (quand on les mange , on peut en faire autre usage j’y reviendrai sans doute) d’une manière assez curieuse . En les effeuillant , feuilles trempées généralement dans un peu de vinaigrette , jusqu’au moment où on arrive au meilleur : « le cœur » . Qu’il faut préalablement , ultime étape après l’effeuillage , débarrasser de poils – le « foin » - qui le garnissent .


Ainsi des poèmes ?  Peut être , mais à cette différence que la distinction feuilles, foin , cœur , n’est pas visible à l’œil dans un poème .
Et certains poèmes n’ont pas de cœur :  déception  cruelle après les avoir effeuillés et dépoilés .
D’autres – pire encore – ne sont que foin .

Artichauts perso

J’ai  un très beau plant d’artichaut dans mon jardin . La deuxième année il a donné une douzaine de têtes que nous n’avons pas mangées puisque le but de cette plantation était d’obtenir des artichauts en fleurs et de les faire sécher . Malheureusement après un temps de magnificence bleu-mauve clair ces têtes fleuries ne se sont pas mises à sécher mais ont perdu leur coloration . Je les avais photographiées au moment de leur épanouissement bleu-mauve et seules ces photos demeurent en témoignage de leur splendeur .
Note littéraire :   « Mignonne allons voir si l’artichaut …. » etc etc  ça aurait pu écrire Ronsard mais je doute que son poème serait passé à la postérité  qui préfère indéniablement les roses aux artichauts.

Projet d’écriture :  réécrire les plus célèbres poèmes où il est question de roses en remplaçant ce mot par le mot « artichaut »  . Réhabilitation vengeresse du Cynara scolymus contre la tyrannie des  Rosaceae.

Remarque :   finalement , des artichauts ci-dessus mentionnés et mis à sécher j’aurais pu écrire qu’ils ont « leur beauté laissé cheoir »

 

Avoir un cœur d’artichaut

Me souviens soudain de cette expression ancienne : « avoir un cœur d’artichaut » . Je sais qu’elle signifie « être trop sensible , s’amouracher facilement » . Mais quel est au juste le rapport avec l’artichaut ? Sans doute parce que le cœur d’artichaut est assez tendre .
Cela mérite vérification
Fam. [En parlant d'une femme, plus rarement d'un homme] Avoir un cœur d'artichaut. Avoir le cœur trop tendre et le donner sans discernement à autant de personnes qu'il y a de feuilles sur celui de l'artichaut
(in le Trésor de Langue Française informatisée dit TLFi)
Note littéraire :   Drôle cette précision : « en parlant d’une femme plus rarement d’un homme » . D’autant plus que la citation choisie pour illustrer cette expression dans le TLFi est tirée de Proust :
Cependant il s'attardait encore sur le pas de la porte et demandait à Jupien des renseignements sur le quartier. « Vous ne savez rien sur le marchand de marrons du coin, pas à gauche, c'est une horreur, mais du côté pair, un grand gaillard tout noir? Et le pharmacien d'en face, il a un cycliste très gentil qui porte ses médicaments. » Ces questions froissèrent sans doute Jupien car, se redressant avec le dépit d'une grande coquette trahie, il répondit : « Je vois que vous avez un cœur d'artichaut. » Proust, Sodome et Gomorrhe,1922, p. 609.
J’aime énormément que le mot « artichaut » m’ait amené jusqu’à Proust . Qui décrivit délicatement des asperges mais peut être jamais des artichauts .
Asperges et artichauts se dégustent populairement  tous deux avec une vinaigrette .
Note littéraire    :Je parie que tu n’as jamais employé non plus ni le mot « asperge » ni  le mot « vinaigrette » dans un poème  (trop longs tous deux pour toi !)

Artichaut et Internet

Une recherche « sur » Internet avec les mots « artichaut+peinture » me permet de découvrir la reproduction d’une « œuvre » intitulée :

FLEURS D'ARTICHAUT

Belle nature morte mettant en scène des fleurs d'artichaut, réalisée aux pastels secs sur pastel card. Cette oeuvre a été récompensée par le Prix Louis GANNE (3ème prix) au 33ème Salon international des Arts - Buxières- les-Mines (Allier)

Cela me fait sourire .

Mais aussi , pensè-je , Internet est un peu comme un artichaut . Feuilles , foin , cœur . Beaucoup de « foin »
Pour peu de cœur .

Note : il existe une « Peinture effet Caséine coloris artichaut Liberon 500ml »
Plus produit :
Lessivable
A la caséine: apporte profondeur, matité et onctuosité
Haut pouvoir couvrant

Note littéraire : dans la Conférence du 12 avril 2010 à la BnF
Cycle L'Arsenal de la poésie. Grands poètes d'aujourd'hui
Tu cites Du Bouchet parlant des « images invisibles » chez Reverdy et parles de ton goût pour les images « pas clinquantes , mates » .
Que seraient des images poétiques tout à la fois « profondes , mates et onctueuses » ?

Artichaut et poésie (bis) et internet (bis)

Consultant un dictionnaire des rimes « en ligne » j’apprends , ébaubi assez que le mot « artichaut » a pour rimes possibles (ne retenons pas les pauvres)

Rimes riches avec artichaut (1) :
carnichot.

Rimes suffisantes avec artichaut (34) :
Allemanchot, bachot, béchot, bolcho, bouchot, cachot, chaud, chaux, chien-chaud, Chooz, déchaut, enchaud, facho, gaspacho, gaucho, gazpacho, kalimotxo, Lachaux, macho, manchot, maréchaux, nacho, one-man-show, one-woman-show, penchot, réchaud, show, Sochaux, talk-show, touchau, touchaud, touchaux, toucheau.

Que diantre ! combien de mots dont j’ignorais totalement l’existence !
Carnichot ? kalimotxo ? enchaud ?  touchau ?

CARNICHOT, subst. masc.
Région. Chambre creusée sous les racines d'un vieil arbre et couverte de ses branches. Cette espèce de logis sous terre (...) s'appelle en langue paysanne carnichot (Hugo, Quatre-vingt-treize,1874, p. 92).  (TLFi)

Mais le TLFi ignore lui aussi l’existence du kalimotxo :
Le kalimotxo (se prononce kalimotcho en basque et en espagnol) ou Calimocho, selon une graphie espagnole, bien qu'en français on prononce plutôt Calimoutcho, est un mélange à parts égales de vin et de Coca-Cola 1,2. Il est appelé jote au Chili, bambus ou musolini dans la région de l'ex-Yougoslavie, houba en République tchèque, Korea en Allemagne, catamba au Mozambique, vörösbor kola en Hongrie
En France, cette boisson est principalement consommée dans un cadre festif, tout particulièrement les concerts punk, hardcore, oi! ou les free parties. (Wikipédia)

Quant à l’enchaud il s’agit d’ une spécialité à base de viande de porc du Limousin et du Périgord et constitue l'une des conserves par salaison les plus anciennes. On trouve également de l'enchaud dans Les Landes, et, sous le nom de "jambe de porc" dans le Cantal.

Note   :   On pourrait imaginer cette proposition poétique d’un jeune zadiste émule du carpe diem ronsardien à une jeune étudiante écolo toute énamourée :

Mignonne viens dans mon carnichot
J’ai du bon kalimotxo
Et un reste d’enchaud …

 

Artichaut et mythologie

Dans la mythologie, Zeus tomba amoureux fou de Cynara, une belle jeune fille aux cheveux blonds cendrés qui le repoussa ; pour la châtier, il décida de la transformer en Cynara Scolymus (en artichaut).

En portugais   « A mitologia grega traz a lenda de Cynara, uma moça muito bonita por quem Zeus apaixonou-se perdidamente enquanto estava visitando seu irmão Poseidon. Para levá-la com ele ao Monte Olímpo teve que transformá-la em deusa. Mas, Cynara chegou lá e coitadinha não estava preparada para tanto luxo e perfeição. Ficou com saudades de casa e da mamãe, quis voltar a Terra. Zeus possesso - e com toda a razão, vamos combinar - transformou-a em uma planta e a trouxe de volta a terra. A planta é a árvore da alcachofra. »  

En italien :   Cynara era bellissima e Zeus se ne invaghì. Era bella, ma anche volubile e capricciosa e perciò il dio geloso la trasformò in ortaggio, verde e spinoso.

Note :    la jeune étudiante ci avant mentionnée se voit dotée illico d’une longue chevelure blond cendré. Zeus prenant l’aspect d’un zadiste à crête de punk huron , même Ovide n’y aurait pas songer .

Artichaut et Poésie (suite)

Tapant la requête « artichaut » + « poesie »  je trouve un poème de Maurice Carême

L'heure du crime

Minuit. Voici l'heure du crime.
Sortant d'une chambre voisine,
Un homme surgit dans le noir.
Il ôte ses souliers,
S'approche de l'armoire
Sur la pointe des pieds
Et saisit un couteau
Dont l'acier luit, bien aiguisé.
Puis, masquant ses yeux de fouine
Avec un pan de son manteau,
Il pénètre dans la cuisine
Et, d'un seul coup, comme un bourreau
Avant que ne crie la victime,
Ouvre le coeur d'un artichaut.

 

Et , découverte gouteuse :
Mardi 19 novembre 2013, à 18h
Inauguration de la place Pablo Neruda à Grabels (Quartier de la Valsière)
Discours-poème prononcé à cette occasion par Christophe Corp sur la nouvelle place du marché qui porte désormais le nom du poète chilien (prix Nobel de littérature en 1971), décédé il y a quarante ans, le 23 septembre 1973.

 (….)   Tu sais la saveur du congre
Mais aussi l’île de saveur des artichauts
Ceux si chers au palais de Delteil, petits verts de Perpignan ou d’ailleurs
Qui ruissèlent de vert bleuté au cœur de tes poèmes
Comme cet artichaut que tu nous décris

« habillé en guerrier
bruni
comme une grenade
fier
et un jour
côte à côte
dans les grandes corbeilles
en osier,
en  allé
au marché
pour réaliser son rêve :
le service armé »
cet artichaut qui « en rangs, jamais ne fut si martial qu’à la foire »
Au marché où « les hommes
en chemises blanches
au milieu des légumes
étaient
maréchaux
des artichauts,
rangs serrés
ordres criés
et la détonation d’un cageot qui tombe »
Artichaut « guerrier » jusqu’à l’arrivée de la belle Maria « avec son panier »
la belle Maria qui « choisit
sans peur
un artichaut ;
l’examine, l’observe
à contre-jour comme si c’était un œuf
l’achète,
le mêle
dans son sac
à une paire de chaussures
un chou pommé
une bouteille de vinaigre,
et une fois dans sa cuisine,  l’immerge dans la marmite. »
« C’est ainsi que se termine
en paix
la carrière
du végétal armé
que l’on nomme artichaut ;
puis, écaille après écaille
nous dévêtons
le délice
et de son cœur vert
mangeons
la pâte pacifique. »

 

et en cherchant de plus en plus profondément je trouve aussi ce poème :

* by Arthur Justin Léon Leclère (1874 - 1966) , under the pseudonym Tristan Klingsor, title 1: "Chanson de l'artichaut", from Le valet de cœur: poèmes, in Le jardin de ma tante, no. 4, published 1908 [ text verified 1 time]

J'ai cent feuilles à mon cœur tremblant
  Comme celui d'un galant ;
  Brune, rousse ou blonde,
  Il en est pour tout le monde.

J'ai cent feuilles tendres d'un côté
  Et piquantes de l'autre,
  Comme feintises et patenôtres
  De jouvenceaux amignottés.

Mais sans doute, belles, peu vous chaut
  D'un joli cœur d'artichaut,
Et brune, rousse ou blonde préférerait
  Le simple cœur d'un dameret.

De sorte qu'il me faudra finir aussi
  À la barigoule ou farci,
Dans la marmite d'un cuisinier gras
Sans même savoir qui me mangera.

J'avais cent feuilles à mon cœur tremblant
  Comme celui d'un galant ;
Il en était pour toutes les belles, et plus,
Mais personne à la ronde n'en a voulu.

Je terminerai par ce titre d’un recueil , publié aux éditions Edilivre (qui se targuent d’être 1er éditeur de France sic !  alors qu’elle a été créée en 2007 !!!!

 

L’auteur est  prénommé Antoine comme toi . Sa notice biographique donne ces précisions :  « Livreur, employé de la caisse agricole de Sécurité sociale, employé de banque, ouvrier en espaces verts, charpentier métallique, opérateur de saisie, plongeur,… autant de fonctions qui ont laissé malgré tout à Antoine Jalaber le temps d'écrire des chansons et de lire. Puis, l’appel du large depuis la lecture des aventures d'A. Mahuzier au Sahara l’amène à faire la traversée du Sahara à plusieurs reprises. Depuis, il travaille à devenir clown, comédien, chanteur et peut-être auteur… »

Voici un des « poèmes » de cet Antoine (peut être devrait-il s’orienter plus vers le métier de clown que d’auteur , non ?):

rimes, vers,
petite musique dans la tête,
les histoires qui mènent vers
les lendemains
ou les souvenirs lointains,
émotivations
agaçations
agitation
divagation
c’est le début d’une chanson
ou le rêve d’une poésie
à l’envers
et contre tout
à l’envie
et pour le cœur
d’artichaut
ou les autres fruits de la passion

 

 

Enfin un  conseil d’entretien

« Après l’hiver, que faire avec l’artichaut :

On retire le manteau de feuilles mortes  en fin d’hiver pour laisser réapparaître les feuilles Au début du printemps, on retire le monticule de terre ayant servi de barrière de protection Couper les branches à la base pour ne conserver que les 2 ou 3 tiges les plus vigoureuses »
http://www.jardiner-malin.fr/fiche/artichaut.html

Charles d’Orléans célébrait le retour du printemps par ses vers célèbres

 « Le temps a laissié son manteau
De vent, de froidure et de pluye… »

On pourrait en commencer un autre sur le même thème par :

« L’artichaut a retiré son manteau
De feuilles mortes et de terreau …

  Il n'y a chenille ni puceron
Qu'en son jargon ne chante ou crie :
L’artichaut a laissé son manteau ! ….. »


Ces  variations artichautesques ont été achevées le jeudi 26 février 2015
en « hommage à Antoine Emaz »  mon amigo el unico Antonio