ROGER LAHU
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aux arbres et coetera …

 

 

 

Jeune garçonnet en culottes courtes de janvier à décembre, j’ai eu un bon copain de jeu, d’aventures, de rêveries : le grand merisier  du jardin de mes grands-parents . J’ai gardé depuis cette lointaine époque un attachement tendre aux arbres . A certains d’entre eux en tout cas . Et qu’on ne me parle pas de cette sylvothérapie à la mode dans ces temps présents de « coupe à blanc » (et on ne coupe pas ainsi que des arbres) . 
Tendresse, vous dis-je . Ce petit recueil s’en veut l’expression . Il ne sera pas imprimé pour ne pas gâcher du papier donc des arbres mais sera dispersé amicalement et gratuitement par ceux qui le recevront. Feuilles éparpillées  aux vents d’automne .

 

Leçons d’arbres   (été 2021)

La compagnie des arbres (2001)*

Le sutra de l’arbre  (1984)

 

 

 

*Extraits de « Intimement séparé » paru aux éditions Gros Textes

 

 

 

Je suppose que vous savez où l'automne commence ? Il commence exactement à 235 pas de l'arbre marqué M 312, j'ai compté les pas. »  Jean Giono – Le Roi sans divertissement
 

 

Leçons d’arbres

 

aujourd’hui encore l’arbre
veut son poème
à moins que ça ne soit le poème
qui veuille son arbre
 cela me trouble assez
comme les feuilles  de peuplier
sont troublées
au moindre souffle de vent
et frémissent
mais peut-être est-ce le vent qui frémit
dans les feuilles de peuplier ?
les feuilles de peuplier
se contentent peut-être d’accueillir
le frémissement du vent

ai-je accueilli un arbre
dans ce poème ?
l’arbre l’a-t-il fait frémir ?

il faudrait peut-être y abriter
quelques oiseaux
dans l’arbre dans le poème
et leur répons prolixe
pour célébrer le jour qui vient

 

 

 

je ne parle aucune langue qu’on dit étrangère
je ne m’en vante pas je le déplore même
mais c’est comme ça
« arbre » je sais que ça se dit « tree » en anglais
et c’est tout 
comment dit-on « arbre » en japonais
en serbo-croate en wooloof
je l’ignore
« tree » je n’entends rien
« arbre » avec rbr entre deux voyelles
 ça frémit dans mon oreille
comme un peuplier dès le moindre souffle d’air
et « arbre » pousse avec lui
arbuste.
 arbrisseau.
 arborescence.
 arboriculture.
arboriculteur.
et aussi tronc branche feuille racine
et stère et buche et fagot et scie et merlin
et cheminée et suie et âtre
et j’y pends une lourde marmite
où frémit le ragoût perpétuel
d’un récit de Giono ……..
………. et j’en passe tant ça pousse

une forêt me pousse dans la tête
quand je lis le mot « arbre »
une forêt si dense qu’on peut s’y perdre
comme un petit chaperon rouge
même passé l’âge
de la peur des loups

 


 

oncques nul ne dit

- j’en mets ma main à couper comme branche -

d’un arbre
qu’il est antipathique
méprisant
ou  agressif

« c’est  tout dire »
et même plus

 

 

 

 

à Jean Pascal


« escoute, bucheron arreste un peu le bras »
enjoignait  jadis Pierre de Ronsard
aux « bucherons de la forest de gastine »

que dirait il hui
aux exploitants forestiers
chevauchant leur abatteuse komatsu 951
« la plus grande et la plus puissante de nos abatteuses. grâce à sa productivité élevée et à son grand confort d'utilisation, l'abatteuse komatsu 951 est particulièrement adaptée aux coupes à blanc. 
Puissance 214Kw DIN à 1850 tr/mn »  ?

en croirait-il ses yeux
qui lui resteraient
pour pleurer ?

« Quiconque aura premier la main embesongnée
A te couper, forest, d'une dure congnée,
Qu'il puisse s'enferrer de son propre baston, »

Pierre  Pierre mon vieil ami
les abatteurs dans leur cabine « ergonomique » insonorisée
n’entendent même pas  tes menaces alexandrines

 

 

 

de grosses branches au fil du temps
et des vents mauvais
il en a perdues
le vieux prunus de mon jardin
comme autant de rémiges

peut-il encore rêver
d’envols frémissants
et de migrations au long cours ?

parce que ça rêve
un arbre
j’en suis certain

 

 

 

 

certains arbres
deviennent charpente de cathédrales
celle de notre dame de paris
etait appelée « la forêt »

d’autres instruments de musique
d’autres  pâte à papier

peut-être avec beaucoup de patience
trouverait-on un poème
gravé dans une pièce de charpente
d’une cathédrale 

ce poème
sans charpente ni musique
 n’est même pas écrit
sur du papier
mais sur une page word
affichée par un moniteur samsung

j’ai peut être épargné
une branche d’un arbre

 

 

 

petit le mot « baobab »
me fascinait
avec tous ses b
il me semblait l’image exacte
du gros arbre lui-même
il se mélangeait dans ma jeune tête
avec « bibendum »
le bonhomme michelin omniprésent
et ses b et ses rondeurs

et puis je regardais la table de la cuisine
et le mot « table »
même si je fermais les yeux
ne me montrait pas la table

plus tard j’apprendrai
des trucs savants sur les mots
 « l’arbitraire du signe » par exemple
alors je me souviendrai en souriant
du mot « baobab »
et de ma fascination enfantine

 

 

 

l’arbre le plus vieux du monde
est  un pin de bristlecone (pinus longaeva)
il a 5000 ans
on l’a surnommé prometheus
et il est également connu sous le code wpn-114

le plus vieux poème du monde
est l’épopée de gilgamesh
écrite entre -1750 et -1600,

que conclure de ces datations ?
ce poème est écrit
le 15/07/2021 à 18:45
et dehors il pleut un petit déluge
« du ciel, les multitudes n'étaient plus discernables,
parmi ces trombes d'eau. »
dit la tablette xi de l’épopée de gilgamesh

 

 

 

je crois pouvoir citer par cœur
les titres de tous les romans
de Giono de Kerouac ou de murakami
mais je ne reconnais à coup sur
que peu d’arbres
parfois cela me navre vraiment

mais je me dis aussi que les romans
de Giono de Kerouac ou de Murakami
sont comme des forêts
dont je connais tous les arbres
et ça me console un peu

c’est ce qu’on appelle
« faire feu de tout bois »

non ?

 

 

 

on saute
d’un jour l’autre
comme jadis nos ancêtres
primates arboricoles
de branches en branches
dans les jongles primitives

la peur aux fesses
ou en quête de pitance
ou « la banane comme un canon »
comme chantait Higelin ?

 

 

 

 

aux branches
de quel arbre à souhaits
suspendre un ruban de tissu
ou une paperolle
propitiatoire ?

au pied
de quel arbre sacré
t’asseoir
en attente d’un éveil ?

oh  vieux barbu
cesse donc de rêvasser
et fais gaffe
à bien lancer ta ligne
pile poil sous les branches basses
du saule de la rive d’en face
sans t’accrocher dedans
ça ferait marrer la grosse carpe
qui bulle juste en dessous

 

 

 

à Marie-Florence E.

promis juré jamais
tu ne l’abattras
le vieux pommier mort
celui là oui  dans le coin du jardin
au tronc tors et moussu
et si tant penché vers la terre
qu’on dirait une petite mémé toute bossue
clopinant précautionneusement
pour aller se faire faire une permanente
chez «  les ciseaux d’amandine »  sa coiffeuse au village

et pourtant tu n’aimais pas
ses pommes
même en compote


 

talus  punk
l’employé communal
lui a tondu à ras les tempes
ne lui laissant qu’une iroquoise hirsute
de hautes graminées

mais le petit  vent d’ouest
ne souffle pas  « no future »
 dans les branches des arbres alentours

 

 

 

un arbre vous a-t-il déjà paru antipathique ?
ou agaçant ?
repoussant ?

avez-vous déjà eu peur d’un arbre ?
été effrayé par son ombre ?
ou la disposition malsaine de ses branches ?

avez-vous déjà aimé un arbre ?
dit des mots doux à un arbres ?
caressé tendrement son écorce ?

pensez-vous qu’un arbre pense ?
se souvienne de votre passage  ?
vous parle en langage d’arbre ?

avez-vous déjà rêvé d’un arbre ?
était-ce un beau rêve ou un cauchemar 
quand vous vous êtes-vous réveillé ?

 

 

 

 

 

je ne surtout « randonne » pas
ni même « marche »
juste me promène matutinalement
 de saison en saison
sur quelques chemins et sentiers
de mes immédiats alentours
sans accessoires homologués

j’ai des amis fidèles
je pense à deux gros chênes
dont je tairai les noms que je leur ai donnés
qui se paieraient franchement de ma gueule
lors de ma longue promenade matinale
de saison en saison
s’ils me voyaient passer
 de pied en cap
décathloné
et penseraient que je veux me « reconnecter »
à « la Nature »
avec deux bâtons de marche
Distance Carbon Z – Black Diamond.

on ne doit pas décevoir un vieil arbre
même goguenard



 

 

 

La compagnie des arbres

 

 

je n’ai planté
que deux arbres dans ma vie :
un saule tortueux
et  un érable

 

 

                                                                                                                                                      
ce gros arbre abattu
un jour d’automne
en forêt de Meuse

nous étions fiers
comme des chasseurs de fauves
Philippe et moi

nos femmes se moquèrent

    

 

                                                                                                                                                        
dans la cour de la maternelle
il n’y avait qu’un seul arbre
avec d’énormes racines
nous aimions plus que tout
nous faufiler
entre son gros tronc râpeux
et le mur

 

 

 

bien visibles
en haut de la colline
il semblait proche
et facilement accessible
mais nous ne saurons jamais
si nous avons réussi
à l’atteindre
mon fils et moi
le gros arbre solitaire

 

 

                                                                                                                                                        
j’ai lu « under the vulcano »
de Malcom Lowry
dans une forêt des Vosges
et « les filles de feu »
de Nerval
dans une palmeraie marocaine
chaque fois que je relis ces livres
les  arbres reviennent
    

 

    

le merisier de mon grand-père
ses fruits
d’abord rouge pâle
piquaient la langue
puis ils devenaient presque noirs
et teignaient terriblement
les doigts et les lèvres
« attention à ne pas te tâcher
avec les merises ! »

 

 

le vieil arbre creux
en  lisière du champ
son vaste tronc  était plein d’odeurs
puissantes
que nous respirions toujours
au retour de balade

 

                                                                                                                                                   

au bord de Veyle
j’allais pêcher
dans un petit bois de peupliers
je brulais
des brindilles et des feuilles humides
pour éloigner les moustiques

 

                                                                                                                                                                    
                                                                                                                                                      

et tous ces arbres
traqués dans les livres
pour leur donner voix
le chêne inquiet de « chant du monde »
le figuier d’Octavio  Paz
le « vide vertical » de Supervielle
les forêts  saignées de Thiry
et combien d’autres

 

 

 

Wilhem l’allemand
me parlait  anglais
dans les abricotiers de Bompas
je traduisais en français
pour le patron
qui discutait en catalan
avec ses ouvriers espagnols

nous nous méfiions tous
des guêpes qui

autour des fruits chauds

 

                                                                                                                                                                               
    

dans le velux de mon bureau
les bouleaux souples
du pâtis
étaient mes sémaphores
ils me transmettaient
les messages du vent

mon désir tirait des bords
imaginaires

 

    

les arbres de Marie
tous  ces arbres noirs
que son crayon apprivoise

on dirait qu’ils posent
pour elle

ils s’entendent
elle et eux

    

 

 

 

Sutra de l’arbre

à  Marie 

  
1

arbre
arbre
arbre
arbre
arbre ….
en réalité
est-ce que l’on sait de quoi on parle
quand on dit « arbre » ?

 

2

à vrai dire l’arbre
révèle
subtilement
l’inanité absolue
de nos langages

de l’arbre
nous parlons « en langue de bois »

ce qui n’est pas sans prêter à sourire

 

3

en temps de manque
l’arbre sait se dépouiller

exemple caractéristique
de son savoir-vivre

mieux encore
c’est en automne
au moment de sa plus haute splendeur
qu’il délaisse
et avec quel dédain !
ce qui fait précisément sa splendeur
qu’il abandonne
qu’il lâche prise
qu’il se met à nu

 

 

 

4

et d’abord
où commence
et où
finit
l’arbre ?

qui saurait le dire
en toute certitude ?

 

 

 

5

ni la feuille
ni la branche
ni le tronc
ni le réseau tortueux des racines
ni le bourgeon
ni le gland
ni la buche
ni la cendre
ne sont l’arbre

et même
l’arbre
est au-delà
de qu’ils forment ensemble
et que nous nommons « arbre »

 

 

 

6

souvent la forêt nous cache
l’arbre

l’arbre est bien plus important
que la forêt

rasons la forêt
il restera encore l’arbre

l’arbre « résiste »
bien mieux
que la forêt

 

 

 

7

dans les légendes
nombreux
sont les exemples
d’hommes devenus arbres

et il s’agit toujours
d’une sorte de récompense
cela devait être dit

 

 

 

8

parmi les arbres
comme parmi les hommes
certains sont plus arbres
que les autres
ce n’est ni une question de taille
ni d’essence
ni de stères
mais de « port »

arbres accomplis

 

 

petit ensemble de textes mis en page le 21 octobre 2021
au hameau des Varennes
journée d’automne radieuse

 

RL