LIONEL BOURG
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Dernier round,
à Claudius Gay

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Tu es le dernier.
Celui qui s'accroche encore.
Qui résiste. Ou tremble à l'extrémité de la branche.
Le type toujours mal embouché :
                 – Qu'est-ce qu' vous m' voulez ?
qui bougonne dans sa barbe au bout du banc mais tout le monde pousse, pousse, bientôt, un an, six mois, trois hivers, deux printemps, tu devras choir, avaler ton bulletin de naissance et tomber dans le gouffre où ils t'attendent, les Gust, les Julien, et Daniel, ta mère, le vieux qui voulait te tuer, gamin, à la hache, pour que tu n'ailles jamais à  la guerre, dont tu avais les yeux de fou, le Nest, la Dédée, Stéphane, Mireille, la Nénette.
Tu parles d'une cabriole !
Et quoi, dis, quoi, dans la musette ?

*


C'était donc ça, la vie...
Tiens, je t'entends déjà, l'usine à en vomir tous les matins quand tu partais avant le jour, et le Parti, les cris, les insultes, les humiliations à n'en plus finir, y aurait-il eu les sauts en parachute parce que tu avais le vertige et que, bon sang ! il te fallait le vaincre, et les chansons de Brassens, allez, allez, ne te fais pas prier, La mauvaise réputation, pour commencer, Oncle Archibald ensuite, ta préférée, celle que tu entonnes chaque fois que les circonstances s'y prêtent, ou que tu entonnais puisque ces temps-ci, à part les crémations, et les enterrements, tu n'as plus tellement le loisir de boire un coup ni de les brailler, les couplets, tu te souviens, hein, tu te souviens, ce que tu as pu les braire ! et lorsque – oui, oui, il faut que tu aies un canon dans le nez, et alors ? – tu l'attaques, ton morceau de bravoure :


Ô vous les arracheurs de dents,
Tous les cafards, les charlatans,
Les prophètes,
Comptez plus sur oncle Archibald
Pour payer les violons du bal
À vos fêtes.

les larmes me viennent aussitôt.
Car elle te drague, la mort.
Avec sa faux, sa jupe ou le suaire moulant troussé sans retenue sur les fémurs. Et elle te plaît, morbleu ! Ce qu'elle te plaît... Aucune autre ne te ferait pareille promesse :

Si tu te couches dans mes bras
Alors la vie te semblera
Plus facile,
Tu y seras hors de portée
Des chiens, des loups, des homm's et des
Imbéciles.

Ton temps de dupe est révolu
Personne ne se paiera plus
Sur ta bête,
Les « Plaît-il, maîtr' ? » n'auront plus cours,
Plus jamais tu n'auras à cour-
Ber la tête.

c'est toute revanche enfin permise, tu en sais un rayon :
On n'a droit qu'à ça, nous...
et tant pis pour l'amour, tant pis pour les fleurs de grenadier que tu glissais dans une enveloppe un soir de juin 1949, ou pour les giroflées, les pensées sauvages, tant pis pour la cabane à outils dans un coin du jardin – trois planches, de la tôle ondulée derrière la haie de haricots grimpants–, où l'on sirote du Sidi Brahim en compagnie des gars d'Afrique du Nord qui le boivent en douce, tant pis pour les cerises croquées aux oreilles des filles, les seins que l'on caresse sous la soie d'un corsage, et pour les grillons, les abeilles, les cigales, tant pis, tant pis...
Mais si le ciel :
Qu'est-ce que c'est beau !
eût consenti ne serait-ce qu'un tout petit peu à s'agrandir, si l'horizon se fût, lui aussi, couvert de fleurs, et s'il en avait plu par milliers, des violettes, des roses, nous l'aurions faite, n'est-ce pas ? la révolution, quitte à crever, tonton, se pendre au cou d'un cheval afin de l'embrasser ou à virer mabouls, plus déglingués encore que nous ne le sommes, et la bêlant ensemble, par les rues, les prés ou les champs, la chanson de Brassens :

Ô vous les arracheurs de dents,
Tous les cafards, les charlatans,
Les prophètes...

*


Fin de semaine.
Bleus et tricots de corps lessivés, tu décidais d'une marche qui tournait à la chasse au trésor ou à la quête des pépites que tu vis tant de fois miroiter dans le lit des rivières, le Dorlay, le Furan, le Gier, le Janon, la Durèze, ce ruisseau même, à Salcigneux, dans le virage précédant la rampe d'accès au village, dont la vase brillait au soleil.
C'était du mica, cet or.
Des pétales de fleurs de cerisier les papillons qui se posaient sur l'eau. Je ne t'en croyais pas moins sur parole :
 – De l'or ! Tonton ! De l'or !
Et tous ces papillons, t'as vu ça ? Tous ces papillons !
si bien qu'à ta remorque je fus un jour trappeur pistant le gibier par les hautes herbes ou les bruyères près de Chalmazel, un autre archéologue et cette espèce d'Indiana Jones avant la lettre dans les gorges du Lignon, un autre encore pirate cherchant à terre l'emplacement où des forbans plus audacieux, d'énormes pétoires à la ceinture, avaient dissimulé coffres forts, bijoux et pierres précieuses.
Rentrer bredouilles ne nous enflammait que davantage.
Tu méditais de nouvelles courses. Dressais de nouveaux plans. Et si, dans les fermes abandonnées comme sous les vestiges du Grand Hôtel du Mont Pilat, lequel avait fait la fierté de ses propriétaires avant d'être détruit par un incendie sans explication rassurante, nous ne mîmes la main que sur des pièces de monnaie du second empire et des déchets triviaux, casseroles, chaudrons percés, culs de bouteille, boutons de porte, nous n'en repartions les poches bourrées de bricoles que plus hardiment à l'assaut de nos rêves. C'est que tu parlais. Racontais cent et une histoires inspirées de celles que tu avais lues dans un journal ou entendues à la radio. Ressuscitais à ta convenance les femmes et les hommes qui nous avaient précédés en ces lieux :
C'était un pays de bandits, par ici...
puis, intarissable, inventais des noms tous neufs, rebaptisant crêtes, bourgades ou torrents, de sorte que je l'ai franchi, le Rio Grande, les ai escaladées, les Rocheuses, le reste de la confrérie battant la semelle du côté de Tananarive.
La pluie pouvait nous éclabousser. Le vent emporter ta casquette, les oiseaux :
Écoute ! Écoute !
crier ou se jeter de l'autre côté du monde, rien ne nous empêcherait demain de reprendre la route.
La mort n'existait pas.
Ou nous courions plus vite qu'elle.

*


Les cendres retombaient.
Ce n'était plus que ça, ta sœur.
Cette poussière que la brise ne réussissait pas à disperser.
Une image, pour chacun d'entre nous un geste, un mot, des cheveux blancs ou des doigts décharnés crochetant la mémoire cependant que nous redressions la tête, contemplant silencieux les collines rosies par le soleil du soir.


Mes cousins piétinaient. Leur père :
T'as vu cette comédie, il va y aller de sa sérénade sur l'amour si cela continue...
se dandinait, l'urne entre les mains, qu'il rangea dans un sac de matière plastique.
Il nous fallait rentrer.
Dire adieu, au-revoir, embrasser les quelques vieillards encore debout, saluer les plus jeunes.
Je t'ai raccompagné, conduisant lentement sur la chaussée mal entretenue qui, depuis Cellieu, rejoint Saint-Chamond en épousant l'itinéraire le plus sinueux. Le chemin, dont les boucles surplombent le petit aérodrome où tu reçus ton baptême de l'air, est parfois à peine carrossable. Traversant un hameau, tu me montras la maison d'un de tes copains d'autrefois :
Y a même plus d'toit...
te retournant pour mieux considérer la bâtisse béante, infestée d'orties et d'arbustes, surpris de reconnaître, comme soutenus par les lambeaux d'un papier peint qui te rappela des journées agréables :
M'suis amusé, là d'dans !
ces murs que tu pensais enfouis au sein des souvenirs, de grandes pivoines écarlates s'épanouissant encore à l'endroit qu'un meuble, sans doute, avait protégé.
Je fis halte, chez toi, où tu débouchas une bouteille :
C'est du bon.
Nous vidâmes nos verres, que tu remplissais à ras bord, maudissant les capitalistes, les prêtres, les écolos et les toutous de gauche. Tu enfonças le clou :
J'suis p' t' êtr' bête mais faudrait qu'on m'explique ; tout c'fric, parce qu'il y en a, du pognon ! il va où ?
Tandis que, sur le palier, pressant le bouton d'appel de l'ascenseur, je prononçais les paroles d'usage :
Ménage-toi, ménage-toi bien.

*



Nul n'est jamais qu'une ombre.
Un souffle, une obstination tout au plus.
L'éclat, peut-être, terne, assourdi, d'une lumière qui fut un instant souveraine, dont on ne distingue au matin que quelques grains épars ou cette peau très fine enveloppant un paysage non moins étrange que familier.
Tout semble mort.
Vide, tonton, si vide, ou froid.
Les émotions, les pensées se recroquevillent. Les baisers à nos lèvres pendent comme des fruits que les guêpes ou la grêle ont gâtés.
Mais ça va, ça va.
D'ailleurs, entre nous, qu'est-ce qu'on en a à foutre, aujourd'hui, d'un guignol dans ton genre, qui s'était engagé dans l'armée de Leclerc afin de poursuivre les nazis jusqu'en Allemagne, râlait comme un voleur perché sur un tas de planches derrière les baraquements des chantiers où l'on s'expliquait au couteau dans toutes les langues du bassin méditerranéen, qui bouffait du curé, chialait à gros bouillons parce que le permanent du Parti venait de l'injurier sous prétexte que lui, Dudu, le Dudu :
Tu crois qu' t' es un bon communiste ?
n'avait pas entièrement liquidé sa provision d'Humanité-Dimanche, et qui :
M ' font chier ! Merde, j ' suis pas un chien !
la déchirait, sa carte, la reprenait, la déchirait, regrettait l'époque où il affrontait en trois reprises les jeunes coqs des salles d'entraînement avant d'être mis à son tour K.O. sur le ring, le sang:
Où elles sont, mes frangines ?
s'écoulant du nez, de la bouche, ou qui dansait, contait fleurette à des jeunes filles d'origine italienne :
Ti voglio bene, cara mia, ti voglio bene...
au bal du samedi, du dimanche, écoutait Bill Haley, lisait des romans policiers en feuilleton dans les journaux populaires mais toujours, toujours revenait à Brassens :

Ô vous les arracheurs de dents

zut, on ne peut pas les aboyer tout le temps, La jeune garde, L'Internationale...

*


La rue Richarme, à Rive-de-Gier.
L'appartement en balcon sur la rivière boueuse.
Le Marais, plus tard, dans les faubourgs de Saint-Étienne. L'immeuble au-dessus des fonderies. Les clameurs, les soirs de match, jaillissant des tribunes du stade quand les “Verts” remportaient la victoire.
La rue Sauzéat, à la Grand-Croix, où la mémé vivait encore.
Et ce pays qui fut si longtemps ton royaume, la campagne y naissait entre des tas de mauvais charbon coiffés d'herbe ou de buissons au printemps, lesquels fleurissaient, colonisant les wagonnets couchés à même le carreau des puits de mine.
Tout était noir chez nous.
Ou gris. La terre. Les ateliers. Les maisonnettes.
Tu pouvais bien les évoquer, leurs noms extraits d'un almanach ou d'une encyclopédie qui se vendait à prix modique sous forme de fascicules, Assur, Angkhor, Byzance, Ninive, rivaliser de songes avec maman et prendre la Jusserandière pour Babylone à cause des cheminées crachant très haut leurs fumées au milieu des nuages :
Des ziggourats, on dit, des ziggourats...
il avait piètre figure, ton empire chaldéen, les schistes ou les grès affleurant sans joliesse à proximité d'un viaduc, construction lourde, germanique, qu'on appelait “le pont des Boches”.
Le pont des Boches...
Et Gino, le coiffeur. Les jardins ouvriers sur les berges du Gier, du Dorlay. Cette route aussi, tortueuse, la route de Comberigole, où des vignes produisaient une affreuse piquette (des “gauchos”, prévenais-tu, t'emmêlant les pinceaux :
Des “covebois”, si tu veux...
s'y planquaient, prêts à nous détrousser), ces autres lieux enfin, leurs noms scandés, répétés :
La Cognetière !
Genilac, Leymieux,Égarande, tu te rends compte ! Égarande...
Tapigneux, La Merlanchonnière...
que je prononçais de mon mieux, persuadé d'improviser avec toi le plus beau des poèmes.
C'était magie, je comprends.
Ou volonté comme irréelle d'accroître le peu qui t'était concédé :
Ispahan ! Chiraz !
et de le faire plus large, plus profond, de façon telle qu'exigeant une manière d'amplitude tu défiais les forces adverses qui, tout autour, au travail, en famille, parmi tes camarades, n'avaient d'autre espérance que de réduire la vie :
La vie...
à leur mesquine proportion.
Tu n'étais pas de la même trempe.
Ou tu t'y refusais, ne cédant qu'après d'âpres combats, vaincu, une nouvelle fois K.O., couché les bras en croix au pied des églantines.

*



 

Bien sûr, comme tout le monde, ici, tu l'épluchais, le catalogue de la Manufacture d'Armes et Cycles.
Tu t'attardais aux pages consacrées à la promenade, au camping, relevant les prix des sacs et des gamelles, des chapeaux imperméables ou des poignards, couteaux de chasse et différents accessoires nécessaires à la survie des aventuriers progressant en milieu hostile, choisissant une chemise “canadienne”, un pantalon de travail américain– un “bloujean”, francisais-tu, une paire de bloujeans –, le vrai rêve, inassouvissable :
Trois mois qu ' j ' y suis resté, sur un chantier, à vingt kilomètres de Toulon...
demeurant de pouvoir, même vieux, usé, t'installer dans le sud, où des cieux, des cieux immenses reposent sans les écraser sur les fleurs qui toutes, tu n'eus jamais le sens de la mesure :
Jaunes, mais jaunes... plus larges qu'une assiette !
sont comme des soleils.
Un bout de terrain.
Une bicoque et, derrière le potager – aubergines, courgettes, salades, fraises, tomates –, entre deux toits, la mer.
Tu n'en demandais pas beaucoup plus. C'était trop.
Tu fourras les cartes postales de Toulon dans une boîte en fer-blanc, où elles doivent dormir, l'encre du stylo dont tu te servais pour donner de tes nouvelles se décolorant sur les enveloppes que les cachets de la Poste, 3 mai 1951, 17 mai, permettent provisoirement de dater.
Tu t'y rendis, pourtant, quelquefois, dans l'arrière-pays provençal, distribuant table, chaises pliantes et toile de tente sous les chênes d'une concession municipale ou sur la courte lisière qu'avec ton beau-frère tu louais. Cent cinquante mètres carrés. Un point d'eau. Des broussailles. Mais la possibilité de gagner dès l'aube une plage, les flots, ceux de Trénet, de Brassens :

Vous envierez un peu l'éternel estivant
Qui fait du pédalo sur la vague en rêvant
Qui passe sa mort en vacances

berçant criques et calanques par-delà les installations pétrolières. Tu m'invitas. Je n'eus jamais l'occasion, l'occasion ou l'esprit de suite, l'attention suffisante auras-tu déduit, à tort, à raison, d'honorer ma promesse :
En juillet, tonton !
et de jouer les Robinson sur tes terres. Je ledéplore plus que tu ne l'imagines : nous aurions partagé ce qui, les temps en sont finis, continuait d'être sans valeur marchande, écoutant sous la pluie :
Qu'est-ce qu'il tombe !
le grand bruit d'ailes et de feuilles brûlées des orages.
Faute de mieux, de congés en commun, de barque ou de pêche à la palangre, tu me fais signe.
M'appelles.
Me happes quand je m'y attends le moins – les alibis manquent désormais : tous les nôtres sont morts –, prétextant un renseignement qui t'échappe, un article que tu viens de lire en buvant le café :
Causent de ton bouquin dans l ' canard...
Nous bavardons quelques minutes, n'exprimant qu'une tendresse rudimentaire avant de raccrocher le téléphone.
Cette brusquerie m'apaise : la grincheuse hirondelle cachée dans ta cage thoracique fait encore pour moi le printemps.

*


Chacun s'arrange avec ses faiblesses.
Toi, ce n'est pas nouveau, tu ne dors plus.
Tu te lèves au milieu de la nuit afin de t'assurer que tout est bien en ordre, la corde en cas de sinistre, qui servirait à fuir, les médicaments, les marmites, le fil, les aiguilles, la table à repasser, les draps, les couverts :
Elle y voit plus rien, la Marie, nibe, que dalle, j ' me tape tout dans la baraque !
ta maniaquerie, ou ta paranoïa, te ramenant à ce gosse qui, sur une photo des années vingt, paraît malheureux comme les pierres.
Tu n'as pas changé.
Le même crâne. Le même regard. La même peur.
La même, tonton, la même qu'à la Chaise-Dieu, te rappelles-tu ? découvrant le cloître, l'église et sa danse macabre.
J'avais une quinzaine d'années.
Nous étions allés, en compagnie de mes parents, des Bontemps à coup sûr, toujours prêts à chausser les bottes de sept lieues, visiter l'abbatiale. Infiniment troublés, nous admirâmes la fresque, chaque personnage, le pape, le roi ou l'empereur, le bourgeois, le chanoine comme le laboureur, et le curé, le cordelier, l'enfant, le clerc, l'avocat aux yeux bandés, et le chevalier, le marchand :
Vise-moi cette fiole !
renvoyant quiconque à la terreur d'être entraîné par la faucheuse, laquelle se trémoussait, là, devant nous, toujours nouvelle, immuable toujours, la peau collant aux os.
Il me hante, ce souvenir.
Nous n'avions pu nous détacher de la sarabande, la contemplant jusqu'au malaise et nous mettant stupidement à rire lorsque nous fûmes dehors, la journée s'achevant avec le repas du soir au quatrième étage de l'H.L.M., blagues, ragots, banalités de circonstance.
Au dessert, tu fredonnas les inévitables couplets :

Telle une femm'de petit' vertu
Elle arpentait le trottoir du
Cimetière
Aguichant les homm's en troussant
Un peu plus haut qu'il n'est décent
Son suaire.

Oncle Archibald, d'un ton gouailleur,
Lui dit : “Va-t-en fair' pendre ailleurs
Ton squelette,
Fi des femelles décharnées !
Vive les bell's un tantinet
Rondelettes !”

mais le cœur n'y était pas.
Tu te rassis, piteux. Les mots mouraient eux aussi. L'humour lui-même avait jeté l'éponge.
“ Bats-toi, tonton, bats-toi ! Fous-lui une correction ”, eus-je envie de t'encourager.
Las ! Tu n'avais plus de jus. Pas de jambes.
Les plus grands champions ne sont pas à l'abri d'une défaillance.

*

Le lendemain, tu avais repris le dessus et tu remontais sur le ring.
L'usine. Les soins du ménage.
Les pavés entre Saint-Chamond et la Grand-Croix.
L'entretien de la tombe où repose la mère Gay. Et le footing, la gym dans un hangar avec les pompiers : la mort, promis, juré, craché, ne gagnerait qu'aux points la rencontre.
Or t'y voici.
Tassé dans les cordes, incapable de t'abriter cependant que les coups s'abattent :
Ton gauche, tonton !
tout s'enchaîne, crochet au foie, direct du droit à la mâchoire, la sueur ruisselle :
Frappe ! Tonton, frappe ! Mais frappe !
et, tandis que tu vacilles :
Accroche-toi, fatigue-la !
que les flashes crépitent, tu l'observes, pourquoi ne pas céder, et tout abandonner, elle n'est pas si méchante fille, à quoi bon les esquiver, ses gnons, ses uppercuts, viens, ma belle, viens, ou laisse, laisse :
J ' me dégommerai  avant d'être gâteux, moi !
tu arrives, entends le gong, l'arbitre tout de blanc vêtu dont la voix se propage à travers le coton tissé par les anges.
C'est fini.
Tu ne les paieras plus, les violons du bal.
Au reste :
Je sais, j ' suis un ours...
ils n'avaient pas de place dans tes greniers, le fox-trot, la java, les fêtes.