LIONEL BOURG
Accueil

En résidence itinérante sur les pas de Jean-Jacques Rousseau, Lionel Bourg nous livre, après Jean-Jacques..., quelques pages de son Carnet de route. D'autres suivront, au rythme de l'aventure.

 ..." Lyon

J’aime plus qu’une autre la perspective d’aube liquide, courbe, paresseuse et comme intimement unie aux nuages qui caressent la Saône aux portes du Grenier d’Abondance, rive gauche, du Conservatoire National de Musique, rive droite, dont je n’oublie pas qu’il avait été l’école vétérinaire.
  Jean-Jacques y fut-il sensible ?
  Oui, sans doute.
  À la façon d’un adolescent découvrant pour la première fois la nudité de quelque femme offerte, et ne sachant que faire.
  L’eau.
  Les dames mûres, lasses - madame de Warens, madame de Larnage.
  Le goût de fleuve légèrement poisseux et de bouquet fané qu’elles eurent peut-être à ses lèvres."...

Extrait de "Je n'ai plus que des sensations"(Carnet de route)

 

Lionel Bourg
É
tat de rêve

 

Pour Aymerick

 

Nul ne sait rien de la matière songeuse.

Des forêts comme givrées aux carreaux de l’enfance.
Du lait mêlé de sang ou de pois ou de lymphe ou de sève à l’intérieur des nuages. Des larmes. Des paupières humides et du ventre d’où suinte quelquefois la neige des étoiles.

Nul ne sait rien des algues.
Des mots à peine prononcés. Des lèvres effeuillées pétale après pétale.

*

C’est qu’il y a le ciel.

Ses plaies. Ses ecchymoses.

Des milliards d’oiseaux morts cloués aux volets de la nuit.
L’eau.
La pluie goutte à goutte, qui ruisselle puis dessine nervures et squelettes à même les trottoirs.

C’est qu’il y a des murs.
Des corps. Des mains. Tout au cœur du néant des floraisons inexplicables.

*

Des lieux aussi, perdus, enfouis dans la mémoire.

Des prairies ou des plateaux stratifiés d’ombre cartilagineuse.
Des collines.
Des montagnes abruptes en pleine solitude et, rugueux, filandreux çà et là, des fonds marins, des fleuves inquiets, des brumes, des marécages où grouillent des créatures toujours plus incertaines.

Des ronces. Des reptiles.

D’inidentifiables insectes armés de crocs et de griffes.
Des anémones qui gangrènent la chair.
Des herbes battues par le reflux des vagues.

*

Ce sont de hautes fougères, encore.

Un peu de vase. La lie blanchâtre d’une illusion peut-être. Ou des apparitions. Ce qui demeure d’un rêve quand l’aube se livre à l’équarrissage des ultimes chimères.

Il faut écrire alors.
Tracer des lignes. Peindre, marbrer, scarifier le sol jusqu’à l’instant promis où, sans doute est-ce façon d’espérance, on poussera la porte, s’offrant à la caresse lente du temps.

Il faut aimer.

Crier. Accepter, refuser l’échéance.

Oublier. Partir. S’inscrire, ainsi qu’Aymerick Ramilison ne cesse de le faire, au sein de l’infini naufrage, l’infinie naissance du monde.

N’être que cet arbre, là-bas.

Le bruit obsédant de l’averse. Quelques copeaux d’azur. La lumière sur les feuilles des saules, des bouleaux.

Le charnier radieux du silence.


Le site de Aymerick Ramilison

Lionel Bourg
L’Assoiffée

 

Pour Florence

 

C’est une brèche. Une déchirure.

Des années de silence et d’effroi qu’il faut bien ravauder, coudre, découdre, assembler comme autant de lambeaux de soi-même, petits échantillons d’étoffe qui battent à la brise ou, sur un fil,  ces loques, ces parures, de sorte que vivre revient à n’être plus qu’un peu d’argile où s’inscrivent à jamais des amours calcinés.

*

Cela s’embrouille. Se dévide.

Liens. Lianes. Tresses défaites.
Chevaux de frise au bord des eaux où l’on n’osera se noyer.

Un visage, un corps semblables à des tessons d’aurore, des étoiles mortes parmi la voie lactée.

*

Que tombent ainsi cette neige,
ces larmes d’encre ou de sang sous les paupières qui se ferment.

S’éteigne le regard de l’inaltérable beauté.

*

J’ai peur, j’ai mal, dis-tu.

Et soif. Ou faim.
Mais c’est patience, pièce à pièce le monde et la chair qui ne pouvait fleurir, la lutte lente des heures puis, plus lentement encore, les pas tracés dans la poussière,

la lie d’ombre au fond du verre brisé.

*

Bâtir.

Malaxer la terre.

Comme on pétrit l’absence ou, du bout des doigts, caresse les traits de qui s’est un jour effacé.

*

Le cœur en miettes.

Fragments d’âme brûlés.
Morceaux de bois.
Caillots d’aube aux parois de la gorge, que l’on ne parvient pas à cracher.

Le calme, alors.

Un vase.
Des cartes suspendues dans le vide faute d’identité.

La voix qui n’en finit plus de se perdre comme chacun s’égare sous l’œil indifférent des choses.

*

Nul ne possède rien.

Des mots peut-être.
Des gestes à peine esquissés.
La pluie d’automne et les flaques où sautent les enfants, leurs rires quand l’averse redouble, le goût de cendre dans la bouche des tous premiers baisers.

*

Qu’as-tu ? Qu’as-tu ?

Ce n’est que de la glaise.

Faïence, biscuit, porcelaine candide ou lave comme naissant du ventre, membres épars, sein, paroles au-dessus du néant sans cesse chuchotées.

Des coraux. Des madrépores.

Tes mains en forme de coupe afin de puiser l’eau des sources, et t’y désaltérer.

 


Le site de
Florence Bruyas

"De petits signes", le 4 décembre 2009 :


Embarquement immédiat

Un livre...
Puis, comme battent les portes, les fenêtres, ce grand souffle ou ce simple appel d'air, tout ce qui passe, ainsi, circule, s'enfle, crie, médite, se lamente, aime, s'apaise, de sorte que rien ne peut plus demeurer des choses que l'on croyait les mieux assises : l'univers bascule, on se lève, s'en va, s'embarque, s'expose au vent du large ou, dans ces vagues soudain, ne cesse de se jeter.
Un livre, oui.
Un poème, parfois.
Moins Le Bateau ivre que Sensation peut-être, ou La Chanson du mal aimé, La ballade des pendus, Les Pâques à New-York davantage que le Transsibérien, toute la prose ensuite, les pages lumineuses de Nadja comme la fièvre à fleur de peau d'Arcane 17, les folles épaisseurs d'âmes et de chairs fouillées obstinément, Le bruit et la fureur, la Recherche, La règle du jeu, La route des Flandres, Les Possédés...
Comment trancher ? Comment choisir ?
C'est que ce fut, c'est encore, chaque fois, un ébranlement, toute lecture décisive renversant l'ordre qui s'était abusivement établi.
Cela tangue. Cela regimbe. Cela gémit.
On se plonge dès lors dans un roman d'Antonio Lobo Antunes, s'égare et se découvre au sein des voix qui se croisent, tramant cette espèce de toile toujours prête à se déchirer, dont les franges, semble-t-il, flottent entre les arbres du paradis perdu.
Ou bien l'on ouvre le plus récent ouvrage de Pierre Bergounioux. De Claudio Magris. De Gérard Macé.
On se bat. Reprend langue avec celles et ceux que l'on avait trop longtemps laissés en bordure du chemin, Camus, et Henry James (Melville, Yourcenar, Clarice Lispector...), revient à Marx, ou à Castoriadis, à Jean-Jacques bien sûr, se précipite, peste, rage, renonce, recommence : on lit.
On lit comme on a lu Champion cycliste, de Louison Bobet, quand on avait dix ans.
Et Meaulnes. Et Michel Strogoff.
Les volumes de Norbert Casteret ou l'inoubliable Trois milliards d'années de vie, d'André de Cayeux, les aventures de Thor Heyerdahl et celles, en Chine, de Teilhard de Chardin – mais si, mais si...
On lit sans trêve.
Des dizaines, des centaines de bouquins, lesquels s'accumulent au gré de la mémoire, se couvrent de poussière tandis que là, très exactement là, écoutant la pluie naissante, au milieu des malles, des papiers, à l'image de l'enfant dont on rêve, on se cache ou se réfugie : au grenier.
Un livre, mais lequel ? Il n'est de bible que pour les dévots.
Les autres, dont je suis, n'en finiront évidemment jamais avec ces phrases, ces mots par milliers ou ces quelques paragraphes, ces lignes inégales qui traînent derrière eux la brume comme le brouillard, et le soleil, l'ombre, la fragile clarté d'un monde inassouvi.

Pierre Soulages (détail)


Embarquement immédiat , offert à la Librairie Olympique de Bordeaux et à Jean-Paul Brussac, son prince, à l'occasion des vingt ans de la maison.


L'Autre côté

C'est au-delà des mots.
Au-delà du monde comme des traits qui l'incisent, le hachent quelquefois.
Au-delà du regard, soudain, dont on ne sait plus grand'chose si ce n'est qu'il fut une espèce d'acide, la lame d'une dague peut-être, un couteau qui tremblait, offert, calciné.
C'est au-delà des yeux.
Au-delà des larmes, des paupières que l'on cousait jadis quand on n'en pouvait plus, de voir, ou d'aimer, n'être qu'un éclair sans doute, si bien que le corps maintenant tout entier s'arc-boute afin de redevenir cette main, laquelle frappait, dansait, caressait, empoignait un autre corps ou grattait au carreau de l'enfance le givre des paradis qui s'étaient éloignés.
C'est au-delà des phrases.
Au-delà du visage. Ici, pourtant.
Comme à l'envers de toute raison. De l'autre côté du masque ou de ce loup de carnaval que l'on jette violemment sur une table, au-delà du désir, même, et des émois, des étreintes, ne posséderait-on jamais que le souvenir de ce châle dont une femme, autrefois, qui partait, d'un geste las se couvrit les épaules.
C'est au-delà du sang. Au-delà des lèvres.
Quelques songes.
Deux ou trois grains de beauté. Des ratures.
Sur une feuille de papier la blancheur de la toute première neige.

 


L'autre côté, paru à tirage fort restreint avec des gravures d'Alain Bar aux éditions Parole gravée.


L'Etreinte du monde

Texte Lionel Bourg. Illustrations Alain Bar

Ecrire les corps    qui frissonnent.    Ecrire    enfin,

dans l'urgence apaisée,     genèse, apocalyse

l'esquisse d'une souveraineté

la promesse d'un sens....

Lionel Bourg

 


Chantier du barrage de Donzère-Mondragon (1950)

Mardi 18 novembre 2008

Coucou !

 

Et alors ?

Et la suite ?

Euh ! Bon, je vais vous expliquer...

J'écris en corrigeant, retouchant sans cesse.

Ces lettres, en particulier, que vous avez pu lire, auxquelles cinq ou six autres se sont jointes dans mes cahiers, n'existent pour l'instant qu'au sein du mouvement qui toujours les emporte, de sorte que je ne puis plus me résoudre à les livrer ainsi, balbutiantes, préférant qu'on les redécouvre un jour, comme neuves, quand elles s'assembleront dans un livre.


Mais le lien, direz-vous.

Quelques petites nouvelles, peut-être, pour celles et ceux qui se demanderaient ce que je fabrique.

Un livre, courant janvier 2009, aux éditions Apogée : Comme sont nus les rêves. Il regroupe divers textes de ces dernières années, qui parurent parfois en revue ou firent l'objet de tirages limités. J'y poursuis mon espèce d'entreprise autobiographique tout en la prolongeant à l'usage des temps présents et de certains voyages.

Un numéro de la revue « Souffles », toujours au début de l'année qui vient, contenant un dossier consacré à mon travail. On y rencontrera une étude de Pierre Bergounioux, une autre de Jacques Josse (sans se concerter, ils ont peaufiné des pages qui se complètent singulièrement), ainsi qu'une de ces lettres en cours : « Dernier round », adressée à l'un de mes oncles.(L.E.M. Revue Souffles : 45, rue Léon Blum 34660 Cournonterral, tél : 04 67 85 09 02)

 

L'écluse du barrage de Donzère-Mondragon(1950)


Un ouvrage d'artiste un peu particulier enfin : trois chansons de Bob Dylan, introduites et traduites par mes soins, un compagnon peintre, lequel illustrera l'ensemble, proposant en regard ses propres traductions (un CD sera de la fête, quelque ami interprétant une version dépouillée de « Visions of Johanna. », le tout aux éditions «  barre parallèle »).

 

En attendant, je me promène le long de la Dordogne, près de Souillac, où je bénéficie d'une bourse d'écrivain-résident. J'y rédige une nouvelle lettre...