GENEVIEVE FRAISSE
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Planète IO: 14 èmes Rencontres d'été. 22-23-24 Août 2013









 

GENEVIEVE FRAISSE
La sexuation du monde
Réflexions sur l'émancipation

"Où il ne s'agit pas de subversion. La question mise en lumière ici est celle du nombre « deux ». Entre le Un et le Multiple, le deux est ce qui montre le lien. Ainsi, entre le « pour toutes » et le «pour chacune », on peut s'arrêter un instant sur la vie des femmes faite du rapport simple. Dans ce rapport, il y a beaucoup de possibles, à commencer par la parole. Une causerie, ou un bavardage ?Le deux permet-il le multiple ? C'est un enjeu de la démocratie moderne.


GENEVIEVE FRAISSE
La fabrique du féminisme

p9 "Seule la rencontre entre l'histoire et la pensée ouvre le chemin d'une construction intellectuelle qui " idéologise" le moins possible."

p11 ""ça pense" est une affirmation polémique au regard de la méfiance renouvelée à l'encontre d'un féminisme réduit à l'hystérie ou à l'activisme."

p23 "Redire l'histoire pour mieux vivre celle qui se fait et se vit aujourd'hui, nos blocages, nos déplacements et nos pas en avant..."



 

" Aujourd'hui, la nouveauté essentielle de la pensée féministe, c'est la volonté de ne plus se concentrer sur les femmes pour travailler sur la différence des sexes : se donner la possibilité de réfléchir sur les rapports entre les hommes et les femmes et pas seulement sur une identité féminine, détachée de tout contexte. Pour moi, l'émergence de ce courant marque un tournant. Désormais, on ne peut plus extraire la femme du champ social et de son rapport au masculin. On ne peut plus en faire une entité séparée."

"Que signifie, en terme de théorie politique, la parité ? Est-ce un idéal, au même titre que la justice ou la liberté ? Et que voudrait dire, dans une construction politique, le partage du pouvoir entre hommes et femmes fondé sur une réalité anthropologique, la dualité sexuelle du monde ? Pour ma part, j'y vois un problème philosophique. D'où le condensé d'une formule, pour dire mon embarras, empruntée à Kant mais inversée : la parité est une idée, une théorie, « pratiquement vraie mais théoriquement fausse ». Impossible à fonder en théorie mais terriblement efficace en pratique. Non pas un idéal mais une arme dans un combat essentiel. L'idée a traversé, voire secoué l'agir des partis politiques. Que l'égalité des sexes y gagne quelque chose, c'est bien l'objectif; que la vie politique masculine française en soit transformée, on peut en douter ; ou même en rire : les femmes furent et restent un objet d'échange, plus, une monnaie d'échange dans toute société. Ou bien encore un symptôme, celui de la crise de la représentation politique. Que personne ne s'y trompe, surtout si on veut à la fois penser et agir l'égalité des sexes."

" Ceci comme un rappel, essentiel : il n'y aura pas d'utopie de l'égalité sans utopie de la liberté des femmes. Cela semblait un acquis d'être sujet d'égalité et sujet de liberté. Or la reconnaissance de ce sujet, s'il n'est pas une utopie, est encore notre horizon, proche."

"Il faut plutôt penser l'articulation entre famille et cité. Je n'aime pas le mot « conciliation ». Si on remet la démocratie à l'endroit, on trouve deux espaces de débat et de pouvoir : on voit qui fait quoi, qui s'occupe de qui, et on n'a pas besoin de dire qu'on externalise les vertus féminines qui seraient maintenant dans l'espace public... c'est un changement de paradigme. La question paradigmatique des deux gouvernements, valable pour le PACS, et pour le care aussi, est de rendre visible le lien entre la famille et la cité, le lien entre l'espace domestique et l'espace public ; et ainsi de produire leur « articulation ». Il n'y a plus d'invisible. En revanche, on doit réfléchir à la possibilité de l'universel en même temps qu'au traitement de la tradition. C'est un sujet magnifique."

" Mais si l'égalité intervient comme outil politique des relations humaines, alors l'espace domestique sera reconnu, comme l'espace public, comme un lieu de pouvoir, donc de partage de ce pouvoir.
Alors on se souviendra de Kant et on le laissera derrière nous : il nous dit qu'une personne, dans le désir, devient chose ? Non, elle est un sujet désirant qui est aussi objet de désir. On peut être sujet et objet dans le jeu du sexe. Mais l'objet du désir n'a rien à voir avec la chose. Une femme violée n'a pas été traitée en objet (voire en marchandise), mais bien en chose. Cette distinction est cruciale. Et cette inégalité de traitement, entre une personne et une chose, peut être mortelle. C'est pourquoi l'égalité de sexes est si désirable..."

"Malgré tout, cette perspective nouvelle inciterait à réfléchir autrement : les débats sur le soin et la sollicitude, le care et le souci d'autrui vulnérable, ne transforment-ils pas en profondeur le statut, le rôle, la fonction de la personne qui se met « au service de » ? On sait que la hiérarchie sociale, imposée par le rapport entre maître et serviteur, ou maîtresse et servante, a traversé les régimes politiques, et que, si elle fut une évidence pour la société monarchique, elle ne semble pas l'être moins pour une société démocratique soucieuse d'égalité. D'où les enjeux théoriques et politiques de notre actualité : comment mettre en œuvre une organisation sociale adaptée à l'allongement de la vie et à la demande accrue de garde d'enfants en transformant une subordination ancestrale en utilité sociale ? Ou, au contraire - et les tenants du care nous y invitent fortement -, comment renouveler l'espoir démocratique en pensant le service non comme soumission et servitude, mais comme don et lien ? En ce cas, l'absence de symétrie, l'impensable égalité entre le servant et le servi n'a aucun sens, et ne fait pas un problème politique. D'ailleurs, nous dit-on, le service à la personne souligne que le faible est la personne servie, et non le servant. Alors l'utilité sociale et la solidarité entre individus isolés forment, ensemble, l'horizon d'un changement de société. Notons cependant que celui qui sert est également en situation de vulnérabilité. Le service à la personne est donc une relation entre deux vulnérables.
On aperçoit clairement le pari politique : refaire du lien social, redonner à ce lien un sens, serait pensable à partir du lieu même du travail primitif, le service. Retournement complet de situation, par conséquent : si le service perdit de son importance au siècle dernier, il redeviendrait un lieu central de la société à venir, éclairé éventuellement d'une subversion politique. Car il placerait d'emblée dans l'espace public ce qui relève d'une nécessité privée. De ce point de vue, la « frontière » entre les sphères publique et privée a une chance d'être repensée. A cela s'adjoint un deuxième pari : se soucier d'autrui comme vulnérable, malade, personne âgée, enfant en bas âge, permettrait de puiser dans le vivier de qualités humaines bien connues, historiquement féminines, domestiques, maternelles, puis de les faire circuler dans l'espace public, de les externaliser, comme on dit, en valorisant à l'extérieur du monde domestique des qualités dites ou reconnues comme féminines, dont on laisse ainsi imaginer qu'elles peuvent être dissociées du sexe qui les porte.

Jeanne Deroin, féministe radicale de la révolution de 1848, parlait déjà de ce « grand ménage mal administré de l'Etat » où elle comptait bien travailler à l'avenir. Elle proposait d'utiliser politiquement la valeur domestique hors du foyer. L'argument valait comme stratégie militante de persuasion, et ce paradoxe sert encore aujourd'hui dans de multiples lieux du politique ; mais on en sait la relativité, voire la nullité historique. Par ailleurs, la mixité de cet emploi de service n'est à l'ordre du jour que dans la pensée magique d'une société sans hiérarchie entre les sexes, sans domination masculine.

Deux pôles dessinent, désormais, le champ de cette notion de service : l'archaïque et le futur. D'un côté, on lit la vieille histoire de la servante tenue loin de l'espace public, du droit de porter plainte auprès de la justice, de manifester sa colère, de rire des puissants. De l'autre, on entend l'histoire renouvelée des qualités inépuisables du sexe féminin, disponible à tous points de vue, sexe et propreté, soin et nourriture, avec l'espoir de conjuguer, sans trop de frais égalitaires, vie privée et vie publique. Une seule certitude : le service à la personne n'est pas l'avenir de la mixité."


 

GENEVIEVE FRAISSE
Muse de la Raison
Démocratie et exclusion des femmes en France

"On notera alors le mot frère, qui sonne de façon neuve à l'ère démocratique, qui sonne comme cette fraternité de la république naissante, république qui a bien du mal à être masculine et féminine. Après les pères, le patriarcat de la féodalité 16, sont venus les frères de la démocratie et de la république ; les pères dominent sans conteste les épouses et les filles, les frères tiennent à la maîtrise de leurs sœurs. Ainsi partageront-ils, non sans réticence, les biens économiques, la propriété bourgeoise ; mais ne céderont en rien sur le pouvoir politique qui est fondamentalement, faut-il le rappeler, un pouvoir symbolique."



GENEVIEVE FRAISSE
Les deux gouvernements: la famille et la Cité

"Une précision alors : la parité est ce mot pratique pour désigner l'égalité des sexes dans les lieux de pouvoir. Il n'y a pas à confondre égalité et parité. Un seul principe nous suffit, et il a pour nom égalité. La parité est alors une sorte d'habit de l'égalité. Ou plutôt, un instrument, outil, moyen pour fabriquer de l'égalité là où c'est le plus difficile, dans le gouvernement, gouvernement qui implique une autorité qui s'exerce, pour nous, dans un espace démocratique. Parité politique et parité domestique désignent la famille et la cité comme lieux d'exercice du pouvoir. Pour le reste, l'économique par exemple, ce mot n'est valable que pour parler aussi du pouvoir. Mais pour tout un chacun, dans l'espace économique, l'égalité est le seul terme qui convient pour désigner la nécessité d'un traitement et d'un salaire identiques, à travail égal et pour l'ensemble des professions, entre hommes et femmes."