DAVID FOSTER WALLACE
Accueil


2011
Editions Au diable vauver, 2012

DAVID FOSTER WALLACE
Le roi pâle
Traduction de l'anglais (Etats-Unis) de Charles Recoursé

"J'ai appris ça dès mes 22 ou 23 ans, au Centre Régional de Contrôle de l'IRS à Peoria, où j'ai fait deux étés en tant que pousseur de chariot. D'après les collègues selon qui j'étais fait pour une carrière dans le Service, c'est ce qui m'a donné une longueur d'avance, de comprendre cette vérité à un âge où la plupart des gens commencent à peine à soupçonner les bases de la vie d'adulte - la vie ne vous doit rien ; la souffrance peut prendre une quantité de formes ; personne ne prendra plus jamais soin de vous autant que votre mère ; le cœur humain est un crétin.

J'ai appris que le monde des hommes tel qu'il existe aujourd'hui est une bureaucratie. C'est une vérité criante, bien entendu, même si on peut beaucoup souffrir de l'ignorer.

Mais plus encore, j'ai découvert, de la seule manière pour un homme d'apprendre quelque chose de vraiment important, la véritable aptitude requise pour réussir dans une bureaucratie. Je veux dire réussir pour de vrai : être bon, se distinguer, servir. J'ai découvert la clé. La clé, ce n'est pas l'efficacité, ni la probité, l'intuition ou la sagesse. Ce n'est pas la ruse politique, les aptitudes relationnelles, le QI pur, la loyauté, la vision ou toute autre qualité que le monde bureaucratique nomme vertu et qu'il évalue. La clé, c'est une certaine capacité qui sous-tend toutes les autres, un peu comme la capacité de respirer et de pomper du sang sous-tend toute pensée et toute action.

La clé bureaucratique sous-jacente est la capacité à gérer l'ennui. À fonctionner de façon efficace dans un environnement qui exclut le vital et l'humain. Pour ainsi dire à respirer sans air.

La clé c'est la capacité, innée ou bien conditionnée, à trouver l'autre versant de la routine, du mesquin, de l'insignifiant, du répétitif, de l'inutilement complexe. En un mot, à être inennuyable. Dans les années 1984 et 1985, j'ai rencontré deux hommes de cette trempe.

C'est la clé de la vie moderne. Si vous êtes immunisé contre l'ennui, absolument rien ne vous sera impossible."



DAVID FOSTER WALLACE
L'oubli
Traduction de l'anglais (Etats-Unis) de Charles Recoursé

"Réfléchissez-y une seconde - imaginez maintenant que tous les mondes de matière infiniment dense et changeante en vous à chaque moment de votre vie se révèlent ouverts et exprimables après la mort de ce que vous concevez comme vous, car imaginez maintenant qu'ensuite chaque moment soit une mer ou un plan ou un passage de temps infini dans quoi l'exprimer ou le communiquer, et vous n'avez même pas besoin d'un langage organisé, vous pouvez comme on dit ouvrir la porte et arriver dans la salle de n'importe qui avec toutes vos idées et facettes et formes multiformes. Car écoutez (...) : Qu'est-ce que vous croyez être, exactement ? Les millions et les trillions de pensées, de souvenirs, de juxtapositions - même les plus folles, comme celle-ci, je sais que vous le pensez - qui défilent dans votre tête et disparaissent ? Une espèce de somme ou de reste de tout ça ? Votre histoire ? (...) La vérité, c'est que vous avez déjà entendu ça. Que c'est ça qui se passe. Que c'est ça qui crée de la place pour les univers en vous, pour toutes les fractales sans fin de relations et de symphonies de voix, les infinités que vous ne pouvez jamais montrer à une autre âme. Et vous croyez que ça fait de vous un imposteur, cette minuscule fraction qui est la seule visible ? Bien sûr vous êtes un imposteur, bien sûr ce que les gens voient n'est jamais vous. Et bien sûr, vous le savez, et bien sûr vous essayez de maîtriser la partie qu'ils voient puisque vous savez que ce n'est qu'une partie. Qui ne le ferait pas ? (...) Mais en même temps c'est pour ça qu'il est si bon de fondre en pleurs devant les autres, ou de rire, ou de parler en langues."

2004
Éditions de l'Olivier,  2016


1996
Editions de l'Olivier, 2015

DAVID FOSTER WALLACE
L'Infinie Comédie
Traduction de l'anglais (Etats-Unis) de Francis Kerline et Charles Recoursé

"Je suis assis dans un bureau, entouré de têtes et de corps. Ma posture est congrûment adaptée à la forme de ma chaise droite. C'est une pièce froide de l'Administration de l'Université, lambrissée, décorée de Remington, protégée contre la chaleur de novembre par un double vitrage, isolée des bruits administratifs par l'antichambre dans laquelle oncle Charles, Mr deLint et moi-même avons été préalablement reçus.
Je suis là.
Trois visages se sont mis en place au-dessus de vestons sport estivaux et de demi-Windsor, derrière une table de conférence en pin ciré reflétant la lumière arachnéenne d'un midi d'Arizona. Ce sont trois Doyens - des Admissions, des Affaires académiques, des Affaires athlétiques. Je ne sais pas quel visage appartient à qui.
Je pense avoir l'air neutre, peut-être même plaisant, bien que j'aie été entraîné à fauter par excès de neutralité et à ne jamais tenter d'affecter ce qui me semblerait une expression plaisante ou souriante."

 " Le vent était modéré et constant, d’une température équivalente à la position Faible d’un sèche-linge états-unien. Il produisait un sifflement aigu. Et des bruits de gravillons. Des pelotes de mauvaises herbes, grosses comme des boules de poils géantes, roulaient souvent en travers de l’autoroute I-10 loin en contrebas. Leur perspective spéculaire, la lumière rougeoyante sur un vaste roc brunâtre et le rideau tombant du crépuscule, l’élongation de leurs monstrueuses ombres : tout cela était hypnotique. (de « L'infinie comédie (Littérature étrangère) » par David Foster Wallace, Francis Kerline, Charles Recoursé)


DAVID FOSTER WALLACE
Petits animaux inexpressifs 
Traduction de l'anglais (Etats-Unis) de Charles Recoursé

« Dis-leur que t’avais huit ans. Ton frère avait cinq ans et ne parlait pas. Dis-leur que le visage fatigué de ta mère pendait de sa tête, que les hommes d’abord et elle ensuite l’avaient rendue laide. Que son visage pendait comme ça plein d’amour pour un homme silencieux au regard vide qui vous a laissés sur le bord de la route en train de toucher un bout de bois à jamais. Dis-leur comment ta mère vous a abandonnés à côté d’un champ d’herbe sèche. Dis-leur que le champ et le ciel et la route avaient la couleur du vieux linge. Dis-leur que vous avez passé toute la journée avec la main sur un poteau, ta main et la main blanche d’un bébé brisé, à attendre ce qui était toujours revenu, chaque fois, avant. » Faye applique la poudre. « Dis-leur qu’il y avait une vache. » Julie déglutit. « Dans le champ, près de l’endroit où vous étiez accrochés à la clôture. Dis-leur que la vache est restée là toute la journée, à mastiquer quelque chose qu’elle avait avalé depuis longtemps et à vous regarder. Dis-leur comment elle te regardait sans la moindre expression. Comment elle est restée là toute la journée à vous regarder avec sa grosse tête sans expression. "

1989
Éditions Au diable vauvert, 2014


1989
J'ai lu, 2014

DAVID FOSTER WALLACE
Ici et là-bas
La Fille aux cheveux étranges
Traduction de l'anglais (Etats-Unis) de Charles Recoursé

« Sa photo laisse un goût amer dans ma bouche. Si vous êtes disposés à croire que j'embrasse sa photo, est-ce que vous pouvez lever la main ? Elle n'y croirait pas, ou ça lui ferait de la peine, ou plutôt ça la mettrait en colère et elle dirait tu m'as jamais embrassée comme tu embrasses ma photo chimique et amère de dernière année, les raisons qui te font embrasser ma photo te concernent toi, pas moi. »

 


DAVID FOSTER WALLACE
La fonction du balai
Traduction de l'anglais (Etats-Unis) de Charles Recoursé

"La plupart des très jolies filles ont de très vilains pieds, et Mindy Metalman n'échappe pas à la règle, comme le remarque soudain Lenore. Ils sont longs et fins, ont les orteils écartés avec des durillons jaunes sur les plus petits et un épais amas calleux à l'arrière des talons, quelques longs poils noirs s'enroulent sur le cou_de-pied et le vernis rouge se craquelle, s'écaille et se gondole, à l'abandon. Lenore le remarque car Mindy est sur la chaise à côté du frigo, penchée en avant en train de décoller le vernis de ses orteils ; son peignoir bâille un peu, on peut voir un bout de décolleté et tout ça, bien plus que ce qu'a Lenore, et la serviette enroulée autour de la tête fraîchement shampouinée de Mindy se défait et une mèche de cheveux sombres et brillants s'est faufilée entre les plis pour descendre modestement le long du visage de Mindy et s'incurver sous son menton. Ça sent le shampooing Flex dans la chambre, l'herbe aussi, vu que Clarice et Sue Shaw fument un gros joint que Lenore a eu par Ed Creamer à Shaker School et qu'elle a apporté, ainsi que d'autres trucq pour Clarice, qui étudie ici."

1987
Editions Au diable vauver, 2004