DAVID VANN
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2023

DAVID VANN
La contrée obscure

Traduction de l'américain de Laura Derajinski

 

"— Feu ! relaie le canonnier, et le canon de proue explose.
Des flammes et de la fumée, le sifflement d’un boulet de fonte à travers la nuit, l’orbe éphémère qui transforme les constellations, et il transperce toutes les voiles de la poupe à la proue, un bruit de déchirure audible même à cette distance. Des cris, portés par le vent au-dessus des flots."

"De Soto comprend qu’Ortiz est passé de l’autre côté et qu’il ne reviendra jamais en arrière, et il éprouve une étrange jalousie. Les expéditions ne se cantonnent peut-être pas à l’or, aux terres ou aux esclaves, elles permettent de quitter sa vie d’avant. De Soto n’aime généralement pas envisager cette possibilité et il est content que personne n’ait le droit de parler. Rien que ses pieds sur le chemin, rapides, et le bruit de sa propre respiration. Il se demande s’il pourrait voyager assez loin pour trouver sa place et ne faire plus qu’un avec cette forêt."

"Et la vie idyllique continue dans le village, avec des sauces de cerf aux châtaignes, des bouillies de maïs parfumées aux baies, des petits cœurs d’écureuils disposés sur le bord de l’assiette de de Soto comme autant de témoignages d’amour. "


2021

DAVID VANN
komodo

Traduction de l'américain de Laura Derajinski

Nous parlons peu car le moteur du bateau est trop bruyant, sans insonorisation et exposé à l’air libre, des planches arrachées, tandis que le capitaine est assis calmement juste au-dessus, gardien d’un enfer anonyme. Un bateau destiné à la collecte des déchets, ses lattes en bois brut tachées de graines de tomate et de mystérieuses demi-lunes où de sombres liquides ont chauffé, puis épaissi pour se dissoudre enfin. Des mouches qui cherchent des aliments plus conséquents. L’eau qui s’insinue partout autour des joints en contrebas, visible à travers les interstices, et un garçon à l’arrière qui actionne la pompe de cale en continu.
- Bon, heureusement qu’on sait nager, toi et moi, dit ma mère."

 


DAVID VANN
Le bleu au-delà

Traduction de l'américain de Laura Derajinski


" MA mère m’a donné naissance sur l’île d’Adak, un petit amas de rochers et de neige loin dans l’archipel des Aléoutiennes, au bord de la mer de Béring. Mon père servait deux ans comme dentiste dans la Navy ; il avait choisi l’Alaska car il aimait la chasse et la pêche, mais manifestement il ne connaissait rien d’Adak au moment où il avait rempli sa demande d’affectation. Si ma mère avait su, elle aurait raturé elle-même le dossier. Avec suffisamment d’informations entre les mains, elle ne prenait jamais la mauvaise décision. "

2020


DAVID VANN
Un poisson sur la lune

Traduction de l'américain de Laura Derajinski

"L’avion amorce sa descente mais San Francisco est invisible, rien que des nuages et de la pluie qui se referment sur l’aile, de la pluie à des centaines de kilomètres/heure, rien qu’une entité horizontale, qui ne tombe pas, qui n’a rien d’assez léger pour tomber. Une pression terrifiante, insistante, paniquée, qui disparaît et réapparaît, provenant d’une source terrible, le souffle d’un dieu en colère."

2019


DAVID VANN
L'Obscure Clarté de l'air

Traduction de l'américain de Laura Derajinski

"Un navire en sommeil poussé en silence par une brise tranquille, le roulement de la coque et ses grincements, la traction de la voile. De petits oiseaux se posent sur les cordes. Impossible d’envisager ce qui s’est produit plus tôt. Le passé toujours ainsi, rétréci et défait et improbable."

2017


DAVID VANN
Aquarium

Traduction de l'américain de Laura Derajinski

"Je m’enfouis sous la couette et me roulai en boule comme un poisson pulmoné attendant la pluie.
Une hibernation, sauf qu’on l’appelle estivation puisque c’est pendant les chaleurs de l’été et non le froid de l’hiver. Quand tout est insoutenable, que l’exposition aux éléments est trop intense, l’air trop chaud à respirer. Ma mère est la meilleure personne sur terre, la plus généreuse, la plus forte, mais c’était sa saison sèche, cette époque où elle était davantage une tempête qu’une personne, une poussière soufflée par le vent, prenant de la vitesse depuis un lieu vaste et sans source, je savais alors que je devais me cacher."

2016


2014

DAVID VANN
Goat Mountain

Traduction de l'américain de Laura Derajinski

"Ce que je sais, c'est qu'il débloque, dit mon grand-père. Il y a en lui quelque chose qui débloque.
Et ce qu'on devrait faire, c'est le tuer tout de suite et le brûler dans ce feu.
C'est de mon fils que tu parles, dit mon père? Ton petit-fils.
C'est pour ça que c'est à nous de nous en occuper.
Aucun d'eux ne me regardait. Ils parlaient de moi comme si j'étais à des milliers de kilomètres."

"Peu importe que le cerf soit imaginaire. Je savais qu'il le trouverait quoi qu'il arrive. Il ferait apparaître un cerf. Il l'abattrait en pleine course, cette détonation puissante roulant d'une crête à l'autre et claquant contre le sommet des montagnes.
Ce que nous voulions, c'était courir ainsi, pourchasser notre proie. C'était l'intérêt. Ce qui nous poussait à courir, c'était la joie et la promesse de tuer."


2014

DAVID VANN
dernier jour sur terre

Traduction de l'américain de Laura Derajinski

 

« Après le suicide de mon père, j’ai hérité de toutes ses armes à feu. J’avais treize ans. Tard le soir, je tendais le bras derrière les manteaux de ma mère dans le placard de l’entrée pour tâter le canon de la carabine paternelle, une Magnum .300. Elle était lourde et froide, elle sentait la graisse à fusil. Je la portais dans le couloir, à travers la cuisine et le garde-manger jusque dans le garage, où j’allumais la lumière pour l’observer, une carabine à ours avec une lunette de visée, achetée en Alaska pour chasser les grizzlys. »

 


2013

DAVID VANN
Impurs

Traduction de l'anglais de Laura Derajinski

"Le plancher ancien ployant sous ses pieds nus. La rugosité du vernis écaillé. Il prit le plateau en argent, suranné, pesant, la théière en argent richement décorée, les tasses en porcelaine blanche, tout ce qui le déprimait, et alors qu’il avait les mains prises, sa mère se pencha derrière lui et l’embrassa, ses lèvres sur son cou et le petit reniflement qu’elle faisait pour être mignonne, ce qui le fit tressaillir et lui donna envie de hurler. Mais il ne lâcha pas le plateau. Il le porta jusqu’à la table en fonte à l’ombre du figuier, tout près du mur du hangar pourvu d’un petit appartement à l’étage. Il envisageait d’y emménager pour échapper à sa mère, pour échapper à leur maison. "


DAVID VANN
Désolations

Traduction de l'anglais de Laura Derajinski

 "Ma mère n’était pas réelle. Elle était un rêve ancien, un espoir. Elle était un lieu. Neigeux, comme ici, et froid. Une maison en bois sur une colline au-dessus d’une rivière. Une journée couverte, la vieille peinture blanche des bâtiments rendue étrangement brillante par la lumière emprisonnée, et je rentrais de l’école. J’avais dix ans, j’avançais seule, j’avançais à travers les amas de neige sale dans le jardin, j’avançais jusqu’à notre porche étroit. Je ne me souviens pas du cours exact de mes pensées en cet instant, je ne me rappelle pas qui j’étais ni ce que je ressentais. Tout cela a disparu, effacé. J’ai ouvert notre porte d’entrée et j’ai trouvé ma mère pendue aux chevrons. Je suis désolée, ai-je dit, puis j’ai reculé avant de refermer la porte. J’étais à nouveau dehors, sous le porche."

2011


DAVID VANN
Sukkwan Island

Traduction de l'anglais de Laura Derajinski

"Puis Roy rentra un jour d’une balade pour le trouver assis devant la radio, son pistolet à la main. Un silence étrange régnait, à l’exception des quelques bourdonnements et sifflements qui s’échappaient de l’appareil.
Jim ? fit Rhoda à l’autre bout. Ne me fais pas ça, connard.
Son père éteignit la radio et se leva. Il dévisagea Roy dans l’embrasure de la porte, observa la pièce autour de lui comme s’il était gêné par un détail minuscule et cherchait quelque chose à dire. Mais il resta muet. Il s’approcha de Roy et lui tendit le pistolet, puis il enfila son blouson et ses bottes avant de sortir.
Roy le suivit des yeux jusqu’à ce qu’il disparaisse derrière les arbres. Il regarda le pistolet dans sa main. Le chien était armé et il apercevait une douille cuivrée. Il le rabaissa en tenant le pistolet pointé loin de lui. Puis il réarma le chien, porta le canon à sa tempe et fit feu. "

2010