TONI MORRISON
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TONI MORRISON
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Traduction de l'anglais (États-Unis) de Christine Laferrière

À qui est cette maison ?
À qui est la nuit qui écarte la lumière
À l'intérieur ?
Dites, qui possède cette maison ?
Elle n'est pas à moi.
J'en ai rêvé une autre, plus douce, plus lumineuse,
Qui donnait sur des lacs traversés de bateaux peints,
Sur des champs vastes comme des bras ouverts
pour m'accueillir.
Cette maison est étrange.
Ses ombres mentent.
Dites, expliquez-moi, pourquoi sa serrure
correspond-elle à ma clef?

2012


1998

TONI MORRISON
Paradis

Traduction de l'anglais (Etats-Unis) de  Jean Guiloineau

"« Vous trouvez que ce que je leur enseigne n’est pas assez bien ? »
Avait-elle lu dans ses pensées ? « C’est très bien, évidemment. Mais ce n’est pas suffisant. Le monde est immense et nous faisons partie de cette immensité. Ils veulent savoir à propos de l’Afrique…
— Oh, s’il vous plaît, révérend. Ne soyez pas sentimental avec moi.
— Si vous vous coupez de vos racines, vous vous dessécherez.
— Les racines qui ignorent les branches se transforment en poussière de termites.
— Pat ! dit-il avec une certaine surprise. Vous méprisez l’Afrique.
— Non. Pas du tout. Simplement, ça ne signifie rien pour moi.
— C’est quoi alors, Pat ? Qu’est-ce qui signifie quelque chose pour vous ?
— Le tableau périodique des éléments.
— C’est triste, répondit-il. Triste et froid. » Richard Misner s’éloigna. "


1993

TONI MORRISON
Jazz

Traduction de l'anglais (États-Unis) de Pierre Alien

"Tst, je connais cette femme. Elle vivait avec une troupe d'oiseaux sur l'Avenue Lenox. Connais son mari, en plus. Il est tombé pour une fille de dix-huit ans avec un de ces amours tordus, profonds, qui le rendait si triste et si heureux qu'il l'a tuée juste pour garder cette sensation. Quand la femme, elle s'appelle Violette, est allée à l'enterrement pour voir la fille et lui taillader son visage mort, on l'a jetée par terre et hors de l'église. Alors elle a couru, dans toute cette neige, et quand elle est rentrée à la maison elle a sorti les oiseaux de leurs cages et les a posés derrière la fenêtre pour qu'ils gèlent ou qu'ils volent, y compris le perroquet qui disait : «Je t aime»."


TONI MORRISON
Sula
Traduction de l'anglais (États-Unis) de Pierre Alien

 "Aussi, quand elles se rencontrèrent, d'abord dans les couloirs chocolat et ensuite entre les cordes de la balançoire, ce fut avec l'aisance et l'agrément d'amies de longue date. Comme chacune avait compris depuis longtemps qu'elle n'était ni blanche ni mâle, que toute liberté et tout triomphe leur étaient interdits, elles avaient entrepris de créer autre chose qu'elles puissent devenir. Leur rencontre fut une chance, puisqu'elles purent se servir l'une de l'autre pour grandir."

1992


1989

TONI MORRISON
beloved

Traduction de l'anglais (Etats-Unis) de Hortense Chabrier et Sylviane Rue

"Du haut en bas de la palissade de la scierie, de vieilles roses se mouraient. Le scieur de long qui les avait plantées douze ans auparavant pour donner à son lieu de travail une atmosphère amicale – pour qu'il n'y ait plus de péché à débiter des arbres pour vivre – était stupéfait de leur abondance ; de la vitesse avec laquelle elles avaient grimpé et tapissé la palissade en pieux qui séparait le chantier du pré public voisin où dormaient les hommes sans logis, où couraient les enfants et où, une fois l'an, les forains dressaient leurs tentes. Plus les roses approchaient de la mort, plus leur parfum était violent, et tous ceux qui fréquentaient la foire associaient son ambiance à la puanteur des roses pourries. "

"Il y a une solitude que l'on peut bercer. Bras croisés, genoux remontés, on se tient, on se cramponne et ce mouvement, à la différence de celui d'un bateau, apaise et contient l'esseulé qui se berce. C'est une solitude intérieure, qui enveloppe étroitement comme une peau. Puis il y a une solitude vagabonde, indépendante. Celle-là, sèche et envahissante, fait que le bruit de son propre pas semble venir de quelque endroit lointain. "


TONI MORRISON
L'oeil le plus bleu

Traduction de l'anglais (Etats-Unis) de  Jean Guiloineau

"Des bonnes sœurs passent aussi calmes que le désir, et des ivrognes et des yeux sobres chantent dans le hall d'entrée de l'hôtel Grec. Rosemary Villanucci, notre voisine et amie, qui habite au-dessus du café de son père, est assise dans une Buick de 1939 et mange une tartine de pain beurré. Elle baisse la vitre pour nous dire, à ma sœur Frieda et à moi, que nous ne pouvons pas monter dans la voiture. Nous la regardons avec de grands yeux, nous voulons son pain mais, plus encore, nous voulons lui crever les yeux pour en faire sortir cette arrogance, et nous voulons écraser cette fierté de propriétaire qui retrousse les coins de sa bouche qui mâche. Quand elle sortira de la voiture nous lui flanquerons une raclée, nous laisserons des marques rouges sur sa peau blanche et elle pleurera et elle nous demandera si nous voulons qu'elle baisse sa culotte. Nous dirons non. Nous ne savons pas ce que nous ressentirions ni ce que nous ferions si elle baissait sa culotte, mais à chaque fois qu'elle nous le demande, nous savons qu'elle nous offre quelque chose de précieux et que nous devons affirmer notre propre fierté en refusant d'accepter. "

1970