HUBERT MINGARELLI
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2019

HUBERT MINGARELLI
La terre invisible

"La femme avec les bottes de soldat était en bas de la rue, assise sur la charrette dans l’obscurité. Elle se parlait et ne me vit pas passer. Tout le long des rues obscures, je pensai à elle et, à un moment, la bière agissant encore sur moi, j’eus envie d’y retourner pour photographier ce qu’elle se disait."


HUBERT MINGARELLI
une histoire de tempête

"– J’aurais bien voulu me délester un peu avant d’aller dans l’eau. Ça m’aurait aidé. Tant pis.
Et moi sans réfléchir j’ai dit:
– Au contraire, vous coulerez plus vite.
À nouveau il s’est tourné vers moi, et son rire a été si franc que je l’ai accompagné. Tandis qu’on riait les portes de l’écluse se sont ouvertes. Le bateau y est entré, sans se cogner aux murs, léger comme un oiseau. "

2015


2015

HUBERT MINGARELLI
La route de Beit Zera

" Quand il était triste, c’était différent. Il surgissait entre les arbres, s’approchait, grimpait les trois marches et s’asseyait sous la véranda dans un coin, et restait là-dehors. Par expérience Stépan le laissait avec sa tristesse. Il faisait ce qu’il avait à faire comme si le garçon n’avait pas été là.
 S’il y avait du vent il lui apportait une couverture. Quand sa tristesse commençait à s’en aller, Amghar quittait son coin, entrait dans la maison et s’asseyait devant la chienne, et avec sa façon à lui, de ses gestes doux, il la caressait pendant un long moment."

"Tout en buvant sous la véranda avec Samuelson, Stépan surveillait la lisière et se demandait comment lui parler du garçon. Il se demandait aussi pourquoi il avait cette gêne. Assis sur les marches, Samuelson le fixait, et à un moment il dit : « Tu en fais une gueule. Pourquoi ? » Au même moment Amghar et la chienne sortirent de la forêt. Apercevant Samuelson, Amghar s’arrêta et n’alla pas plus loin. Samuelson demanda : « Qu’est-ce que c’est ? » Stépan répondit : « Je t’en parlerai. » Amghar demeura un moment devant la lisière, hésitant, puis retourna dans la forêt. La chienne s’approcha et Samuelson l’aida à monter les marches. Elle alla se coucher à côté de Stépan, au pied du fauteuil. Avec légèreté Samuelson demanda : « Alors ? » Stépan répondit : « Il vient des fois. » Il ajouta en posant une main sur la chienne : « Pour elle, pas pour moi. » Samuelson but un coup et demanda : « D’où il vient ? » Stépan répondit : « Beit Zera. » Samuelson écarquilla les yeux, ce qui voulait dire que c’était loin. Puis plus rien, Samuelson ne posa plus une seule question, mais but de bon cœur, et Stépan songea : « Ça alors, c’est pas plus compliqué que ça. » Il but avec soulagement, comme libéré d’un poids. "


ANTOINE CHOPLIN
HUBERT MINGARELLI
L'incendie

"Ça m’amène à la deuxième chose et celle-là, je ne sais pas si tu la comprendras parce que je ne suis pas sûr de pouvoir bien te la dire. Regarder le monde comme il est, ce n’est pas si facile mais surtout, je me dis que ce n’est qu’une occupation parmi toutes celles qu’on peut avoir. Je trouve que c’est bien aussi de regarder le monde comme il pourrait être, ou comme on voudrait qu’il soit. Et c’est bien aussi de ne rien regarder du tout. Je crois que c’est souvent ce qui m’arrive quand je marche, et aussi quand je joue de la guitare. "

2015


HUBERT MINGARELLI
L'homme qui avait soif

 "Pas d’autres bruits que les machines et le bouillonnement des hélices dans l’eau. Pas une lumière dans le ciel, et bientôt toutes celles d’Aomori finirent par s’éteindre, et les ténèbres enveloppèrent partout l’horizon. N’éclairait qu’une lumière de poupe blanche, accrochée à un mât très court en haut duquel un pavillon s’effilochait."

2014


2012

HUBERT MINGARELLI
Un repas en hiver


"La nuit était tombée derrière son unique fenêtre. Si on n’avait pas eu le feu dans la cuisinière, il aurait fait nuit ici aussi. Alors je ressentis avec plus d’intensité que d’habitude, que là où nous étions chaque fois Emmerich, Bauer et moi, c’était là, chez moi. Il faisait bon, et la lumière aussi était bonne. Dommage alors, pensai-je avec un peu d’amertume, qu’Emmerich ait choisi ce moment-là pour se tourmenter."


2012

HUBERT MINGARELLI
La Source

"Une nuit qui en aurait contenu mille, presque belle. Et tandis qu’elle avançait et qu’ils se parlaient, George savait que des nuits comme ça, ils n’en auraient plus. Ils avaient l’air de prendre une dernière inspiration, de se remplir d’air une dernière fois avant de s’enfoncer dans l’eau profonde que serait leur monde au réveil."


HUBERT MINGARELLI
La vague

"Je ne savais pas si j’espérais que Tjaden sortirait bientôt de la baraque pour que nous rentrions à bord nous coucher, ou bien si je souhaitais rester encore avec le garçon, même sans nous parler. Car j’avais un peu peur. A nos pieds, sous les détritus qui flottaient, je devinais l’eau noire, et les ténèbres profondes et insondables, là où peut-être la tristesse et la mélancolie se cachaient. Mais il me semblait que l’odeur du garçon et sa fragile silhouette avaient le pouvoir, comme si je les connaissais depuis longtemps, de les tenir à distance."

2011


2003

HUBERT MINGARELLI
Quatre soldats

"...et je tente aujourd'hui de me faire comprendre et j'ai tant de mal, alors je baisse la tête parce que je suis fatigué et qu'il n'y a nulle part où se cacher."


HUBERT MINGARELLI
La beauté des loutres

"-Ou alors je sais pas, peut-être que c'était une loutre débile, dit Horacio.
-Quoi? Qu'est-ce que vous dites?
-Peut-être qu'elle était tout simplement débile.
-Vous le croyez?
-Non, dit Horacio.
-Alors pourquoi vous le dites?
-Je sais pas."

2002


HUBERT MINGARELLI
La Dernière neige

"C’est l’année où il a tant neigé que j’ai voulu acheter le milan. J’ai désiré le posséder depuis le premier jour où Di Gasso l’a mis en vente, sur le trottoir de la rue de Brescia, parmi les postes de radio, les pièces d’automobiles d’occasion et les tables de chevet. Jamais encore je n’avais autant désiré posséder quelque chose.
Le soir même, en rentrant de l’hospice de vieillards où je travaillais, j’ai demandé à Di Gasso s’il accepterait que je lui verse de petites sommes d’argent en acompte sur le milan. J’avais peur que quelqu’un d’autre l’achète avant moi. Il m’a dit non, que ça ne l’intéressait pas."

2000


HUBERT MINGARELLI
une rivière verte et silencieuse

"Les gens prétendaient que mon père était un raté. Ils omettaient de dire qu’il avait attrapé des truites bleues à la main.
Je fermai les yeux.
Une rivière verte et des truites bleues."

1999


1996

HUBERT MINGARELLI
L'Arbre

 "J’ai ralenti, j’ai encore marché quelques mètres, et d’un seul coup je suis reparti vers l’arbre en courant. Il n’était plus là. Je me suis retourné et je l’ai aperçu dans le champ à travers la lisière. Il m’avait entendu et il essayait de revenir vers le bois.
J’ai franchi la distance et me suis mis à genoux en face de lui. Il s’est laissé aller sur le flanc. J’ai voulu parler, mais à ce moment-là il a cherché son souffle. Je n’ai pas parlé, mais je me suis penché et j’ai mis une main sous sa tête. Il l’a laissée reposer dessus. J’ai calé mon coude sur le sol, et d’un mouvement très lent je me suis allongé à côté de lui. Je suis parvenu à le faire sans avoir eu à bouger la main. J’ai attendu et finalement j’ai dit :
– C’est difficile pour tous les deux.
Je n’ai rien trouvé d’autre à dire. Mon coude faisait un creux dans la terre. "