MILAN KUNDERA
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MILAN KUNDERA
La fête de l'insignifiance

"C'était le mois de juin, le soleil du matin sortait des nuages et Alain passait lentement par une rue parisienne. Il observait les jeunes filles qui, toutes, montraient leur nombril dénudé entre le pantalon ceinturé très bas et le tee-shirt coupé très court. Il était captivé; captivé et même troublé : comme si leur pouvoir de séduction ne se concentrait plus dans leurs cuisses, ni dans leurs fesses, ni dans leurs seins, mais dans ce petit trou rond situé au milieu du corps.
Cela l'incita à réfléchir : Si un homme (ou une époque) voit le centre de la séduction féminine dans les cuisses, comment décrire et définir la particularité de cette orientation érotique? Il improvisa une réponse : la longueur des cuisses est l'image métaphorique du chemin, long et fascinant (c'est pourquoi il faut que les cuisses soient longues), qui mène vers l'accomplissement érotique ; en effet, se dit Alain, même au milieu du coït, la longueur des cuisses prête à la femme la magie romantique de l'inaccessible.
Si un homme (ou une époque) voit le centre de la séduction féminine dans les fesses, comment décrire et définir la particularité de cette orientation érotique? Il improvisa une réponse : brutalité; gaieté; le chemin le plus court vers le but; but d'autant plus excitant qu'il est double.
Si un homme (ou une époque) voit le centre de la séduction féminine dans les seins, comment décrire et définir la particularité de cette orientation érotique? Il improvisa une réponse : sanctification de la femme; la Vierge Marie allaitant Jésus; le sexe masculin agenouillé devant la noble mission du sexe féminin.
Mais comment définir l'érotisme d'un homme (ou d'une époque) qui voit la séduction féminine concentrée au milieu du corps, dans le nombril?"


2014


2003

MILAN KUNDERA
L'ignorance

"Pendant vingt ans il n'avait pensé qu'à son retour. Mais une fois rentré, il comprit, étonné, que sa vie, l'essence même de sa vie, son centre, son trésor, se trouvait hors d'Ithaque, dans les vingt ans de son errance. Et ce trésor, il l'avait perdu et n'aurait pu le retrouver qu'en racontant."


1998

KUNDERA
L'Identité

"Je dirais que la quantité d'ennui , si l'ennui est mesurable , est aujourd'hui beaucoup plus élevé qu'autrefois . Parce que les métiers de jadis ,au moins pour une grande part , n'étaient pas pensables sans un attachement passionnel :les paysans amoureux de leurs terres ; les cordonniers qui connaissaient par cœur les pieds de tous les villageois ; les forestiers ; les jardiniers ; je suppose que même les soldats tuaient alors avec passion . le sens de la vie n'était pas une question , il était avec eux , tout naturellement ,dans leurs ateliers , dans leurs champs . Chaque métier avait créé sa propre mentalité sa propre façon d'être . Un médecin pensait autrement qu'un paysan , un militaire avait un autre comportement qu'un instituteur . Aujourd'hui , nous sommes tous pareils , tous unis par la commune indifférence envers notre travail . Cette indifférence est devenue passion , la seule grande passion collective de notre temps ."

“Voilà la vraie et seule raison d'être de l'amitié : procurer un miroir dans lequel l'autre peut contempler son image d'autrefois qui, sans l'éternel bla-bla de souvenirs entre copains, se serait effacée depuis longtemps.”


KUNDERA
La lenteur

"Dans notre monde, l'oisiveté s'est transformée en désœuvrement, ce qui est tout autre chose : le désœuvré est frustré, s'ennuie, est à la recherche constante du mouvement qui lui manque."

1995


1990

MILAN KUNDERA
L'immortalité

"Grâce à Soljenitsyne, l’expression « droit de l’homme » a … retrouvé sa place dans le vocabulaire de notre temps… Mais comme en occident on ne vit pas sous la menace des camps de concentration, comme on peut dire ou écrire n’importe quoi, à mesure que la lutte pour les droits de l’homme gagnait en popularité elle perdait tout contenu concret, pour devenir finalement l’attitude commune de tous à l’égard de tout, une sorte d’énergie transformant tous les désirs en droits. Le monde est devenu un droit de l’homme et tout s’est mué en droit : le désir d’amour en droit à l’amour, le désir de repos en droit au repos,… le désir de publier un livre en droit de publier un livre, le désir de crier la nuit dans les rues en droit de crier la nuit dans les rues."


MILAN KUNDERA
L'insoutenable légèreté de l'être

"Etre courageux dans l'isolement, sans témoins, sans l'assentiment des autres, face à face avec soi-même, cela requiert une grande fierté et beaucoup de force."

1984


1979

MILAN KUNDERA
Le Livre du rire et de l'oubli

"Vous savez ce qui se passe quand deux personnes bavardent. L'une parle et l'autre lui coupe la parole : « c'est tout à fait comme moi, je… » et se met à parler d'elle jusqu'à ce que la première réussisse à glisser à son tour : « c'est tout à fait comme moi, je… »
Cette phrase, « c'est tout à fait comme moi, je… », semble être un écho approbateur, une manière de continuer la réflexion de l'autre, mais c'est un leurre : en réalité c'est une révolte brutale contre une violence brutale, un effort pour libérer notre propre oreille de l'esclavage et occuper de force l'oreille de l'adversaire. Car toute la vie de l'homme parmi ses semblables n'est rien d'autre qu'un combat pour s'emparer de l'oreille d'autrui."


MILAN KUNDERA
La vie est ailleur
s

"Seul le vrai poète sait comme il fait triste dans la maison de miroirs de la poésie. Derrière la vitre, c'est le crépitement lointain de la fusillade, et le cœur brûle de partir. Lermontov boutonne son uniforme militaire ; Byron pose un pistolet dans le tiroir de sa table de nuit ; Wolker défile dans ses vers avec la foule ; Halas rime ses insultes ; Maïakovski piétine la gorge de sa chanson. Une magnifique bataille fait rage dans les miroirs.
Mais attention ! Dès que les poètes franchissent par erreur les limites de la maison de miroirs, ils trouvent la mort, car ils ne savent pas tirer, et s'ils tirent ils n'atteignent que leur propre tête."

1973


1967

MILAN KUNDERA
La Plaisanterie

"Oui. Tous les fils étaient cassés.
Brisés, les études, la participation au mouvement, le travail, les amitiés, brisés l’amour et la quête de l’amour, brisé, en un mot, tout le cours, chargé de sens, de la vie. Il ne me restait plus que le temps.
Celui-ci, en revanche, j’appris à le connaître intimement comme jamais auparavant. Ce n’était plus ce temps qui naguère m’était familier, métamorphosé en travail, en amour, en toutes sortes d’efforts possibles, un temps que j’acceptais distraitement, car il était lui-même discret, s’effaçant avec délicatesse derrières mes activités. Maintenant il venait à moi dévêtu, tel quel, sous son apparence originelle et vraie, et il me forçait à le désigner de son véritable nom (puisque à présent je vivais le temps pur, un temps purement vide), pour que je n’oublie pas un seul instant, pour que je pense perpétuellement à lui, pour que j’éprouve sans cesse son poids."