SANTIAGO GAMBOA
Une maison à Bogota
Traduction de l'espagnol (Colombie) de François Gaudry
"Les couleurs de certaines maisons étaient délavées par la pluie et la brume, d’autres étaient en ciment, en briques ou en contreplaqué. Des câbles sortaient de tous côtés, des poteaux, des étages, des nœuds de câbles poussiéreux d’où pendaient des chaussures trouées, des tee-shirts déchirés, des caleçons sales. Les rues n’étaient pas goudronnées mais en terre caillouteuse. Des groupes de jeunes passaient, mains dans les poches, capuche sur la tête. “Ils ne vont ni à l’école ni au travail, dit Henry, ils traînent, déambulent d’un endroit à l’autre.”
"Nous habitions dans le quartier de Santa Ana, pas le Santa Ana d’en haut, où vivent les riches, mais entre la 7e et la 9e rues, à cette époque un mélange de classe moyenne en déclin et de “classe inférieure supérieure”, ce qui revient à dire : le condensé le plus pur d’arrivisme, de complexes et de ressentiment social. Je ne sais pas, je suis peut-être injuste, mais c’est le souvenir que j’en garde. Nous n’étions pas une famille heureuse et, comme dans le roman de Tolstoï, elle était malheureuse à sa façon, bien qu’en y repensant sa seule originalité tenait à la manière dont elle mettait en scène sa frustration et son ressentiment. C’est donc là que je suis né. Dans une maison d’un étage, vieille et laide comme toutes celles du quartier. Près d’un canal d’eaux noires."