LOUISE ERDRICH
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LOUISE ERDRICH
La Sentence

Traduction de l'américain de Sarah Gurcel Vermande

"J’ai vu un magasin de pop-corn ouvert et je me suis arrêtée pour en acheter. L’odeur du maïs grillé modifiait celle laissée par le gaz lacrymogène – une odeur âcre, crayeuse, musquée. Un nuage m’a stoppée à deux pas de chez moi. Un nuage d’émotion. J’ai freiné et je me suis appliquée à respirer calmement pour le traverser. C’est l’alarme retentissante du couvre-feu sur mon téléphone qui l’a dissipé. J’étais fatiguée et triste à mourir. J’aurais tellement voulu qu’il pleuve."

2021


2020

 

 

LOUISE ERDRICH
Celui qui veille

Traduction de l'américain de Sarah Gurcel Vermande

"En bas de la côte, au-delà du marécage, après les sillons nus des champs, à travers les bois de bouleaux et de chênes, il y avait le sentier herbeux qui séparait leurs terres et conduisait au seuil de la maison de son père. Son père, maintenant si âgé qu’il passait le plus clair de son temps à dormir. Quatre-vingt-quatorze ans. Quand Thomas pensait à lui, une grande paix se diffusait dans sa poitrine et l’enveloppait comme la chaleur du soleil."

 


Proposition de loi du sénateur Arthur V. Watkins: Loi de termination House Concurrent Resolution 108, HCR 108 (1953)

"Qu’il soit promulgué par le Sénat et la Chambre des représentants des États-Unis d’Amérique assemblés en Congrès que le but de cette loi est d’assurer
1) la termination de la tutelle fédérale sur les terres de la Bande d’Indiens Chippewas de Turtle Mountain détenues en fiducie ou à titre privé dans les États du Dakota du Nord, du Dakota du Sud et du Montana,
2) la réallocation des terres fédérales acquises ou réquisitionnées pour la gestion des affaires de ces Indiens,
3) l’intensification d’un programme pacifique destiné à faciliter la relocalisation de ces Indiens et leur installation dans une économie indépendante afin qu’un terme puisse être mis à la tutelle fédérale de ces Indiens et aux services fédéraux leur étant destinés au vu de la conséquente inutilité de ces derniers,
4) la cessation des services fédéraux fournis à ces Indiens en raison de leur statut d’Indiens."

"Il était là, dans la première ligne de cette très sobre première phrase, le terme « termination », et aussitôt il remplaça dans la tête de Thomas celui d’émancipation, à la puissante aura d’ouverture. Dans la presse, l’auteur de la proposition de loi avait construit autour de son texte un nuage de grands mots – émancipation, liberté, égalité, succès – qui maquillaient sa vérité : la termination. Ne manquait que le préfixe. Le « ex »."

Note de l'autrice: «Il est troublant de constater que le souvenir de la termination s’efface, même parmi les Amérindiens, et c’est ma sœur, l’artiste et poétesse Heidi Erdrich, qui m’a encouragée à écrire ce roman pour que l’on n’oublie jamais. (De fait, l’administration Trump et la secrétaire adjointe à l’Intérieur, Tara Sweeney, ont relancé la termination en cherchant à assimiler les Wampanoags, la tribu qui accueillit les Pères pèlerins du Mayflower sur les rives américaines en 1620 et inventa la fête de Thanksgiving.)»


LOUISE ERDRICH
Comme des pas dans la neige

Traduction de l'américain de Michel Lederer

"Nous avions commencé à mourir avant la neige et, comme la neige, nous avions continué à tomber les uns après les autres. Il était étonnant qu’il reste encore tant d’entre nous à mourir. Pour ceux qui avaient survécu à la maladie des taches venue du sud, au long combat à l’ouest du pays des Sioux où nous avions signé le traité, puis au vent d’est qui nous avait précipités en exil dans une tempête de papiers officiels, ce qui descendait du nord en 1912 semblait inconcevable."

1998-2004


2017

LOUISE ERDRICH
L'enfant de la prochaine aurore

Traduction de l'américain de Isabelle Reinharez

"Quand je te dirai que mon nom blanc est Cedar Hawk Songmaker, que je suis la fille adoptive d’un couple progressiste de Minneapolis, qu’après être partie à la recherche de mes parents indiens et avoir appris que je suis née Mary Potts j’ai caché à tous ma découverte, tu comprendras peut-être. Ou pas. Cette histoire, je vais tout de même l’écrire parce que depuis la semaine dernière les choses ont changé. Selon toute apparence – sauf que personne ne le sait –, notre monde régresse. Ou progresse. Ou peut-être marche en crabe, d’une façon qui nous échappe encore. Je suis sûre qu’un jour ou l’autre quelqu’un finira par mettre un nom sur ce que nous vivons, mais je n’arrive pas à imaginer comment tout ce qui nous entoure et tout ce qui est en nous pourrait être réparé. L’invisible, les quanta à l’origine de notre création sont mêlés aux événements en cours. Quoi qu’il soit en train de se passer, nous sommes abreuvés de flashs infos sur la manière dont la situation sera gérée – de simples conjectures, en réalité, sur ce qui nous attend – et c’est pourquoi j’écris ce récit."


LOUISE ERDRICH
LaRose

Traduction de l'américain de Isabelle Reinharez

La douleur, éparpillée partout, monte en flamboyant des puits profonds que sont les poitrines de son peuple. A l’Ouest les cœurs des morts battent encore, ils brûlent et jettent de douces lueurs vertes dans leurs cercueils. Ils font jaillir de la terre une lumière pâle. Et au sud il y a les bisons que la tribu a achetés dans un but touristique. Un rassemblement sombre. Leurs cœurs eux aussi embrasés par l’horrible message de leur extinction. Leur assemblée fantomatique, désormais. Comme nous, un symbole de résistance, songe Romeo. Comme nous, ils déambulent et tournent en rond dans un petit enclos d’herbe, et engraissent. Comme nous, cœurs visibles pareils à des lampes dans la poussière. A l’est aussi, l’aube sacrée de la terre entière, chaque matin de chaque jour, la promesse et l’accablement. Il est si fatigué, Romeo... Il se refuse à regarder vers le nord parce qu’il se rend compte qu’il a pensé dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, de cette manière qui n’appartient qu’au monde des esprits, ce monde auquel il lui semble à présent appartenir. Sa dernière demeure.

2016


2012

LOUISE ERDRICH
Dans le silence du vent

Traduction de l'américain de Isabelle Reinharez

"Dans notre coin salle à manger, ma mère se tenait derrière sa chaise, les mains posées nerveusement sur le dossier en bois. Le ventilateur tournait, faisant voler sa robe. Elle admirait le repas disposé sur la nappe verte unie. Je l’ai regardée et aussitôt j’ai eu honte de mon animosité – son visage était encore crûment marqué. Je me suis affairé. Mon père avait préparé un ragoût. L’opposition d’odeurs qui m’avait frappé lorsque j’étais entré dans la cuisine était due aux ingrédients – navets piquants et tomates en boîte, betteraves et grains de maïs, ail roussi, viande inconnue, et un oignon abîmé. La préparation dégageait une puanteur pénétrante."


LOUISE ERDRICH
Le jeu des ombres

Traduction de l'américain de Isabelle Reinharez

"Mahtotohpa, Quatre Ours, montra à George Catlin une peau de bison sur laquelle il avait peint les exploits sanglants qui constituaient l’histoire de sa vie. Les tableaux étaient complexes, symboliques, spectaculaires, minutieux. Ils étaient aussi en une seule dimension et sans ombres.Outre tant d’autres inventions européennes – couteaux en acier, bouilloires en fer-blanc, fusils, hachettes, perles de traite, pièges à mâchoires, et un journal qui fut acheté à grands frais par un Indien et employé en guise de médicament – Catlin apporta les ombres."

2010



Le chef mandan Máh-to-tóh-pa  peint par Catlin en 1832.
Nuage blanc, chef des Iowas, 1844-1845, Catlin
National Gallery of Art, Washington

2008

LOUISE ERDRICH
La malédiction des colombes

Traduction de l'américain de Isabelle Reinharez

"Quand les oiseaux arrivèrent en masse, Indiens et Blancs allumèrent de grands feux et s’efforcèrent de les rabattre dans des filets. Les colombes picorèrent les semis de blé, le seigle, et commencèrent à s’attaquer au maïs. Elles dévorèrent les pousses des fleurs nouvelles, les bourgeons des pommiers, les feuilles rudes des chênes et même la balle de l’année passée. Les colombes étaient dodues, et délicieuses fumées, mais on pouvait tordre le cou à des centaines ou des milliers d’entre elles sans obtenir de diminution visible de leur nombre. Les maisons de perches et de torchis des Metis et les cabanes en écorce des Indiens s’affaissaient sous le poids des oiseaux. Qui étaient rôtis, brûlés vifs, apprêtés en tourtes, en ragoûts, mis au sel dans des tonneaux, ou assommés à coups de bâtons et laissés là à pourrir. Mais ceux qui étaient morts ne faisaient rien d’autre que nourrir les vivants, et chaque matin quand les gens s’éveillaient c’était au bruit des grattements et des battements d’ailes, des susurrations murmurantes, de l’affreux babil roucoulant, et à la vue, pour ceux dont les carreaux étaient encore intacts, des douces et curieuses têtes de ces animaux."