DON DELILLO
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2020

DON DELILLO
Le silence

Traduction de l'américain de Sabrina Duncan

"J’ignore de quelles armes usera la troisième guerre mondiale mais la quatrième se fera à coups de bâtons et de pierres." Albert Einstein

"Quelque chose se produisit alors. Sur l’écran, les images se mirent à trembler. Rien à voir avec l’habituelle distorsion visuelle, le phénomène était doté de profondeur, il produisait des motifs abstraits qui pulsaient en rythme jusqu’à fusionner pour produire une série de formes sommaires qui avaient l’air de se projeter en avant puis de reculer. Des rectangles, des triangles, des carrés."


2016

DON DELILLO
Zéro K

Traduction de l’américain de Francis Kerline

 "À partir de quand un homme devient-il son père ? J’en étais encore loin, mais je me dis en contemplant un mur que ça pourrait m’arriver un jour, et toutes mes défenses se cristallisèrent sur le moment en question. Les plats arrivèrent et il se mit immédiatement à manger"

"Jamais je ne m’étais senti plus humain que lorsque ma mère gisait sur son lit, mourante. Ce n’était pas la fragilité d’un homme qu’on dit “trop humain”, sujet à la faiblesse ou la vulnérabilité. C’était un déferlement de tristesse et d’affliction qui me fit comprendre que j’étais un homme augmenté par le chagrin. "


DON DELILLO
L'Ange Esmeralda

Traduction de l’américain de Marianne Véron

"La vieille nonne se leva à l'aube, percluse de douleurs. Elle se levait à l'aube depuis le temps de son noviciat et s'agenouillait sur le dur plancher pour prier. Elle commençait par remonter le store. Voilà le monde. Dehors, plein de petites pommes vertes et de maladies infectieuses. Des rais de lumière envahissaient la chambre, inondant le grain du bois d'un éclat d'ocre antique, si profondément exquis par le ton et le dessin qu'elle devait détourner les yeux pour ne pas s'extasier comme une gamine. Elle s'agenouillait dans les plis de la chemise de nuit blanche, en toile lavée et relavée, rigide et rêche à force d'être savonnée, battue et brassée. Et le corps par-dessous, cette chose maigrichonne qu'elle portait à travers le monde, presque tout entière d'une pâleur crayeuse, avec des mains tachées aux veines en relief, des cheveux taillés court, de fine étoupe grise, et des yeux bleus d'acier — bien des garçons et des filles de naguère revoyaient ces yeux-là en rêve."

2011


2010

DON DELILLO
point omega
Traduction de l’américain de Marianne Véron

" Il n’y avait ni matins ni après-midi. C’était chaque jour une journée sans solution de continuité jusqu’à ce que le soleil commence à descendre et faiblir, et que les montagnes émergent de leurs silhouettes. C’est alors que nous nous installions pour regarder en silence."


DON DELILLO
L'Homme qui tombe
Traduction de l’américain de Marianne Véron

"Il y a des gens qui ont de la chance. Ils deviennent ce qu'ils sont censés devenir, dit-il. Cela ne s'est pas passé pour moi avant de rencontrer ta mère. Un jour nous nous sommes mis à parler et cette conversation ne s'est plus jamais interrompue.
- Même à la fin.
- Même quand nous ne trouvions plus rien de chaleureux à dire, voire plus rien du tout. Jamais la conversation ne s'est arrêtée.
- Je te crois.
- Depuis le premier jour."

2007


2003

DON DELILLO
Cosmopolis

Traduction de l’américain de Marianne Véron

 "Il essayait de s’endormir en lisant, mais ne faisait que s’éveiller davantage. Il lisait des choses scientifiques et de la poésie. Il aimait les poèmes dépouillés minutieusement situés dans un espace blanc, des rangées de traits alphabétiques gravés dans le papier. Les poèmes lui donnaient conscience de sa respiration. Un poème dénudait l’instant pour des choses qu’il n’était habituellement pas prêt à remarquer. Telle était la nuance de chaque poème, tout au moins pour lui, la nuit, ces longues semaines, un souffle après l’autre, dans la pièce en rotation au sommet du triplex. "

"Il était superficiel de prétendre que les chiffres et les tableaux fussent la froide compression d’énergies humaines désordonnées, réduites à de lumineuses unités au firmament du marché financier. En fait, les données mêmes étaient vibrantes et rayonnantes, autre aspect dynamique du processus vital. C’était l’éloquence des alphabets et des systèmes numériques, pleinement réalisée sous forme électronique à présent, dans l’état 0/1 du monde, l’impératif numérique qui définissait le moindre souffle des milliards d’habitants de la planète. C’est là qu’était l’élan de la biosphère...
 ... Les Grecs ont un mot pour cela, dit-elle : chrismatikos. L’art de gagner de l’argent. Mais il faut donner un peu de souplesse au mot, l’adapter à la situation actuelle. Parce que l’argent a pris un virage. Toute fortune est devenue une fortune en soi. L’argent a perdu son caractère narratif, de même que la peinture l’a perdu jadis. L’argent se parle à lui-même.
Peu importe que la vitesse rende difficile la lecture de ce qui passe devant les yeux. C’est la vitesse qui compte. Peu importe le renouvellement sans fin, la façon dont les informations se dissolvent à l’autre bout de la série. Ce qui compte, c’est l’élan, le futur. Nous n’assistons pas tant au flux de l’information qu’à un pur spectacle, l’information sacralisée, rituellement illisible. Les petits écrans du bureau, de la maison, de la voiture deviennent une sorte d’idolâtrie, et les foules peuvent se rassembler dans la stupéfaction... Est-ce que ça ne s’arrête jamais ? Bien sûr que non. Pour quoi faire ? 
Ces révoltés, ces manifestants, ce ne sont pas les fossoyeurs du capitalisme, c’est le libre marché lui-même. Ces gens sont un phantasme créé par le marché. Ils n’existent pas en dehors du marché. Il n’y a nulle part où ils puissent aller pour être en dehors – il n’y a pas de dehors. 
 La culture de marché est totale, elle produit ces hommes et ces femmes. Ils sont nécessaires au système qu’ils méprisent. Ils lui procurent énergie et définition. Ils s’échangent sur les marchés mondiaux. C’est pour cela qu'ils existent, pour vivifier et perpétuer le système."


DON DELILLO
MAO II

Traduction de l’américain de Marianne Véron

 "– Le roman alimentait naguère notre recherche d'une signification. Pour citer Bill. C'était la grande transcendance séculaire. La messe latine du langage, de la personnalité, d'une éventuelle vérité nouvelle. Mais notre désespoir nous a entraînés vers quelque chose de plus vaste et de plus sombre. Nous nous tournons donc vers les nouvelles, qui créent une humeur ininterrompue de catastrophe. C'est là que nous puisons l'expérience émotionnelle introuvable ailleurs. Nous n'avons pas besoin du roman. Pour citer Bill. Nous n'avons même pas nécessairement besoin des catastrophes. Nous n'avons besoin que de comptes rendus, de prédictions et d'avertissements."

" La maison est une idée fausse. Les gens ne sont plus soit à la maison soit sortis. Ils décrochent ou ne décrochent pas."

1991


DON DELILLO
Libra
Traduction de l’américain de Michel Courtois-Fourcy

" Les sens d’Oswald étaient accordés à la peur. Il avait un goût de fer sur la langue. Il entendait des voix qui arrivaient de l’enclos entouré de grillage, des gardes qui aboyaient comme de gros chiens. Quand ils arrosaient le sol de la cellule, on respirait l’odeur de terre prise dans le ciment – de cailloux, de gravier, de mâchefer, de pierres concassées, tout cela mêlé à une vague odeur d’ammoniaque, comme si une dose de mépris y était mélangée. "

1982


1985

DON DELILLO
Bruit de fond
Traduction de l’américain de Michel Courtois-Fourcy

 - “Peut-être devrions-nous nous inquiéter davantage de ce gros nuage, dit-elle. C’est à cause des enfants que nous disons que rien n’arrivera. Nous ne voulons pas les effrayer.
— Rien n’arrivera.
— Je sais que rien n’arrivera, tu sais que rien n’arrivera. Néanmoins, nous devons, d’une certaine manière, y penser, au cas où…
— Ces choses n’arrivent qu’aux gens qui vivent dans des zones dangereuses. La société est organisée de telle manière que ce sont les pauvres, les gens sans éducation, qui supportent la plupart des désastres naturels ou accidentels. Les gens qui habitent les rives dangereuses des fleuves subissent les inondations, les gens qui vivent dans les taudis sont décimés par les ouragans et les tornades. Je suis un professeur d’université. As-tu déjà vu un professeur d’université ramer de toutes ses forces dans une barque pour remonter sa rue inondée, comme on le voit à la télévision ? Nous vivons dans une ville agréable et propre, près d’une université qui porte un nom à l’air vieillot. Ce genre de choses n’arrive pas dans des endroits comme Blacksmith.”

"Le temps des araignées est arrivé. Les araignées dans les coins près des plafonds, des cocons au creux des toiles. Des fils argentés qui semblent produits par de la lumière pure, une lumière fragile comme une information, mais pourvoyeuse d’idées. "


1982

DON DELILLO
Les noms

Traduction de l’américain de Marianne Véron

"-Je lis toujours des histoires de tribus, ou de hordes, ou de peuples qui déferlent d'Asie centrale. Qu'y a-t-il donc en Asie centrale, qui nous fait dire que ses populations déferlent?
-Je ne sais pas, dis-je.
-Pourquoi ne disons-nous pas que les Macédoniens ont déferlé hors de l'Europe? C'est ce qu'ils ont fait. Alexandre en particulier. Mais nous ne le disons pas. Non plus que des Romains ou des Croisés.
-Pensez-vous que ce soit un terme raciste? s'enquit Hardeman.
-Les peuples blancs établissaient des empires. Les gens à peau foncée déferlaient de l'Asie centrale.
-Et les Aryens? fit observer Hardeman. On ne dit pas que les Aryens ont déferlé de l'Asie centrale. Ils se sont dispersés, ils ont émigré, ou ils sont simplement arrivés.
-Exactement. C'est parce que les Aryens avaient la peau claire. Les gens à peau claire se dispersent. Ceux à peau foncée déferlent. Les Turcs ont déferlé. Les Mongols. Les Bactriens. Ils sont venus par vagues. Une vague après l'autre."


1978

DON DELILLO
Chien galeux
Traduction de l’américain de Marianne Véron

"On ne rencontre guère de gens ordinaires, par ici. Pas à la nuit tombée, dans ces rues, sous les marquises délabrées des anciens entrepôts. Tu le sais, bien sûr. C'est toute l'idée. C'est évidemment pour cela que tu es là. Des bouffées de vent venues du fleuve soulèvent l'air empoussiéré des chantiers de démolition. Les sans-abri font du feu dans de vieux bidons rouillés, près des appontements. On les voit agglutinés, emmitouflés dans les vieux chandails ou les manteaux qu'ils ont pu dénicher. Il y a des camions garés près des entrepôts, et d'autres en maraude, avec des types qui fument dans l'obscurité en attendant les homosexuels qui vont redescendre par là en quittant les bars des alentours de Canal Street."


DON DELILLO
joueurs

Traduction de l’américain de Marianne Véron

"Le pianiste ajoute un élément de suspense à son morceau. Bien que ridé autour des yeux, son visage a mis longtemps à perdre cette sympathique franchise, emblème objectif d’une compétence morale que nous associons avec les jeunes gens qui font de la poterie ou de la recherche océanographique. "

1977


DON DELILLO
end zone

Traduction de l’américain de Francis Kerline

"Taft Robinson fut le premier étudiant noir recruté par Logos College, dans l’ouest du Texas. Ils l’ont choisi pour sa vitesse. À la fin de cette première saison il était franchement l’un des meilleurs running backs de toute l’histoire du Southwest. À la longue, il serait apparu sur les écrans de télévision dans tout le pays pour faire la promotion d’automobiles à huit mille dollars et de mousses à raser parfumées à l’avocat. Son nom sur les succursales d’une chaîne de fast-food. L'histoire de sa vie au dos de boîtes de céréales."

1972


1971

DON DELILLO
Americana
Traduction de l’américain de Marianne Véron

"Les hommes sur des petites îles feraient bien d’éviter la poursuite de la philosophie. L’illusion de l’île, à savoir que la sagesse et la solitude se seraient inventées l’une l’autre, est fort convaincante. Jour après jour je me sens devenir plus philosophe. Il me semble parfois être au seuil d’une grande découverte philosophique. L’Homme. La Guerre. La Vérité. Le Temps. Heureusement, je reviens toujours à moi-même. Au-delà de la dentelle blanche de l’écume, je contemple mon passé resté en vrac, et je décide de laisser aux autres le soin de recoudre ensemble les systèmes. Je me régale de la banalité de la situation, l’homme et l’île, exilé dans l’ultime banlieue. L’écume s’amasse et se bouscule, irrégulière, telles des pages de mots terriblement sauvages. Toutes les couleurs sont empruntées, celles de la mer à la plage et au ciel, et au bout d’un moment je reprends le chemin de mes empreintes pour rentrer à la maison."