LARRY BROWN
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2003

LARRY BROWN
L'usine à lapins
Traduction de l'américain de Pierre Furlan

 

"C’était un chaton maigre et sauvage, avec une queue qui semblait cassée et pendait de travers. Il rôdait dans les parages depuis plusieurs jours, bondissant comme un éclair ici et là, esquivant parfois la circulation, et Arthur essayait de l’attraper. Il avait installé une cage Havahart dans le jardin avec des anchois à l’intérieur en guise d’appâts, mais le chaton, même s’il avait l’air de mourir de faim, s’en tenait à l’écart. Il restait là à regarder d’abord l’appât, puis Arthur et Helen. Mais rien ne pressait. Arthur avait beaucoup d’argent et de temps à gaspiller dans des trucs de ce genre quand il n’était pas assis devant sa télé grand écran à se passer des westerns. Ou parfois à dormir. "


LARRY BROWN
Fay

Traduction de l'américain de Daniel Lemoine

"Un soir de fin d’été, juste avant que les becs de gaz ne s’allument, une fille marchait dans les rues du Vieux Carré, à La Nouvelle-Orléans, attirant le regard de tous les hommes qu’elle croisait. Ils s’arrêtaient, la dévisageaient, faisaient quelques pas et se retournaient pour la regarder encore. Elle avançait parmi les buveurs, les bars, dans les riches parfums de cuisine cubaine, un rythme de zydeco résonnant dans l’air, les notes apaisantes d’un accordéon. Elle se mêla aux gens qui discutaient entre eux, admira dans les vitrines les monnaies anciennes, les fusils datant de la guerre de Sécession, les momies, et, en marchant, elle souriait. Elle s’arrêta près d’une large baie vitrée, observa les gens debout devant un bar en train de manger des huîtres et de boire de grandes bouteilles de bière. "

2000


1996

LARRY BROWN
Père et fils

Traduction de l'américain de Pierre Ferragut

" Le bar était à peine éclairé par la lumière du soleil qui filtrait à travers les vitres sales. Toutes les chaises étaient retournées sur les tables, et le sol avait été balayé. La salle paraissait lourde de menaces comme si toutes les bouteilles brisées sur des crânes et toutes les balles logées dans des corps humains s’étaient condensées en une présence épaisse et pesante, faite de malaise et d’attente."

« Virgil était assis sous le porche devant chez lui. Il bricolait un de ses moulinets, un vieux Zebco 33 monté sur une canne Eagle Row rafistolée au ruban adhésif et qu’il possédait depuis vingt ans. Il avait démonté la poignée et envoyé quelques giclées d’huile à machine à coudre dans l’axe pour le faire tourner plus facilement. La ligne s’étirait entre ses genoux et l’avant du moulinet était sur le plancher lorsqu’il entendit la voiture sur la route. "

 


LARRY BROWN
Joe

Traduction de l'américain de Lili Scztajn

"La route s’étirait longue et noire devant eux et la chaleur perçait à présent la mince semelle de leurs chaussures. De jeunes pousses de haricots pointaient dans les champs bruns et secs, minuscules rangées de brins verts qui s’étiraient au loin. Ils continuaient à avancer d’un pas lourd sous le soleil brûlant, mais quiconque les aurait observés aurait pu constater qu’ils n’en pouvaient plus. Leurs pieds sonnèrent sur un pont qui enjambait un ruisseau, bruit erratique et ténu dans le silence qui les enveloppait. Aucune voiture ne dépassait ces auto-stoppeurs en puissance. Les quelques maisons pourrissantes perchées sur les collines broussailleuses, demeures abandonnées servant de résidence aux hiboux et aux mulots, donnaient de la bande et s’effondraient sur elles-mêmes. On aurait dit que personne ne vivait sur cette terre, que personne n’y vivrait plus jamais, pourtant ils virent un tracteur rouge peiner en silence dans un champ lointain, suivi de son petit nuage de poussière."

1991


LARRY BROWN
Dur comme l'amour
Traduction de l'américain de Pierre Furlan

"Dans le courrier, avec le manuscrit d'un de mes romans que me renvoyait un agent de New York, j'ai trouvé une lettre. Je l'ai lue en buvant une bière et en fumant une cigarette. Elle disait (en plus de "Cher Monsieur Barlow") :
"Nous vous renvoyons votre roman, non parce qu'il n'est pas publiable, mais parce que le marché, actuellement, n'est guère réceptif à des histoires de camionneurs ivres transportant du bois, de bouseux et de chasse au cerf. […]"
C'était signé par un quelconque connard. Je n'ai pas lu son nom. J'ai glissé une feuille de papier dans ma machine et j'ai rédigé ma réponse :
"Vous, monsieur, n'êtes qu'un ignare. Comment pouvez-vous savoir que ça ne se vendra pas, bordel, si vous n'essayez même pas ? Et puis, est-ce que vous croyez que je peux vous en chier un autre en cinq minutes ? Ce putain de roman m'a pris deux ans de travail. Avez-vous la moindre idée de ce que ça coûte à quelqu'un ? Vous aimez jouer au Dieu tout-puissant avec nous, là-haut. Vous avez gardé mon manuscrit trois mois sans même le faire passer à des éditeurs. Alors que moi, pendant ce temps-là, je croyais que quelqu'un se tâtait pour l'acheter. Je regrette que vous ne soyez pas dans le coin. Je vous botterais le cul. Je vous le défoncerais à coups de pompes et j'y ferais un trou boueux que j'essuierais avec mes semelles. Espèce de bouffeur de merde. Je vous souhaite de perdre votre job. De toute façon vous le faites comme un con. Je souhaite que votre femme vous file la chaude-pisse. J'aimerais bien que vous fassiez mon boulot et moi le vôtre. Ça vous dirait de peindre quelques maisons par quarante degrés ? Je peux vous garantir que c'est pas si marrant que ça. Je vous souhaite de vous faire écraser par un taxi en rentrant chez vous. Et puis de crever au bout d'un mois dans des douleurs atroces."
J'ai remonté la feuille et je l'ai lue. Elle m'a paru pas mal. Elle exprimait exactement ce que j'éprouvais. Grâce à elle, je me sentais bien mieux. Je l'ai relue, puis je l'ai sortie de la machine, je l'ai déchirée et je l'ai jetée."

1990


1989

LARRY BROWN
Sale boulot

Traduction de l'américain de Francis Kerline

"Et à quoi il rêvait quand je me suis arrêté au pied de son lit ? Au sommeil du dernier silence, aux moutons qui broutent, aux verts pâturages ? À la paix et à la sérénité ou aux gosses qu’on était quand on attrapait des lucioles ? À la cueillette du coton dans le delta du Mississippi, aux longs alignements blancs, aux lents retours en charrette vers la ferme, au grillage où on s’accrochait, aux gens qui nous faisaient des signes sur le bord de la route ? Je pense pas qu’il rêvait de là-bas. Je pense qu’il rêvait de l’Afrique, des vastes plaines d’où venait son peuple, des petites huttes en bois et des traces de pas dans la poussière. Le guépard qui sillonne la brousse, le lion aux aguets dans les hautes herbes brunes, l’éléphant, le rhinocéros, le crocodile qui se faufile dans la rivière d’un seul mouvement de queue. La viande d’impala sur les braises et le soleil, cette immense boule orange qui brûle à l’horizon, traversée par la silhouette noire d’un homme marchant avec une sagaie sur l’épaule. "


1988

LARRY BROWN
Affronter l'orage

Traduction de l'américain de Pierre Furlan

" Le silence revient dans la maison.
Le jardin est silencieux, lui aussi.
Si ce bon vieux Frank était ici, il voudrait sortir. Ce bon vieux Frank. Brave petit chien. Jamais on n’a vu de petite bête plus gaie. Il sautait carrément en l’air pour happer un biscuit entre vos doigts. Il sautait jusqu’à un mètre de haut. Et il agitait de toutes ses forces son petit bout de queue.
Bon vieux Frank.
M. P. se dit à présent que c’est sa femme qu’il aurait dû flinguer, plutôt que ce bon vieux Frank, quand elle a commencé à parler d’abattre le chien. Trop tard, maintenant. "