IVAN BOUNINE
Le village
"Oui, petit bourgeois de province, pauvre hère, il en avait été réduit, jusqu'à l'âge de quinze ans, à épeler les mots, syllabe par syllabe. Mais son histoire était celle de tous les Russes qui s'instruisent tout seuls. Il était né dans un pays où l'on compte plus de cent millions d'illettrés. Il avait grandi dans le Noir Faubourg où, jusqu'aujourd'hui, l'on voit encore des combats de boxe qui se terminent par mort d'homme. Il n'avait eu sous les yeux, dans son enfance, que saleté et ivrognerie, paresse et ennui... Il n'avait retenu de ce temps qu'une seule impression poétique : les ombrages du cimetière, le pacage sur la montée, derrière le Faubourg, puis, au-delà, l'immensité, le brûlant mirage de la steppe, et tout au loin, une chaumine blanche sous un peuplier."
"...Plus loin, près de fossés lavés par les eaux vernales, croissaient de malingres virgulaires."