CÉSAR AIRA
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2019

CESAR AIRA
le président
Traduction de l'espagnol (Argentine) de Christilla Vasserot

"Quand parviendrait-il donc à cette sérénité indispensable à la mise en branle des potentialités latentes de son intellect ? Tout s’embrouillait au point qu’il lui fallait se concentrer sur une affaire à résoudre, puis sur une autre, et ainsi de suite, sauf qu’alors il perdait de vue le cadre général. Il ferait mieux son travail s’il n’avait rien à faire. Il avait tellement de soucis qu’il ne pouvait pas exercer son rôle de chef d’État, l’Histoire se souviendrait de lui comme d’un Président parmi d’autres, un nom parmi d’autres, dans une longue liste de médiocres. "


CESAR AIRA
Esquisses Musicales

Traduction de l'espagnol (Argentine) de Christilla Vasserot

"Quand j’étais petit, au tout début des années cinquante, vivait à Pringles un artiste peintre doué de ce prestige ambigu dont bénéficient ceux qui dans un village ont des activités improductives. Quand je dis qu’il était peintre, en fait il n’était pas seulement peintre, non, ç’aurait été bien trop étrange vu l’époque et le lieu. C’était un vieil habitant parmi d’autres, intégré à la grande famille du village, commerçant à la retraite, veuf, ses enfants avaient grandi, comme bien des jeunes ils étaient partis vers d’autres horizons que ceux que leur offrait Pringles."

"Sauf que le paysage autour de Pringles n’était pas des plus reconnaissables, les rues et les bâtiments encore moins. Il n’y avait guère que le Palais, l’emblème du village ; mais peindre à l’intérieur ce que l’on voyait au-dehors aurait été d’une redondance rare, comme si le Palais s’était ramolli pour se retourner sur lui-même."

2019


2018

CESAR AIRA
Prins

Traduction de l'espagnol (Argentine) de Christilla Vasserot

"Condamné depuis toujours à la rédaction laborieuse de romans gothiques, enchaîné au goût décadent d’un public inculte… La lassitude me gagnait. J’étais incapable de terminer la moindre phrase. Disons… Une syntaxe décente… Écrire, ça, je pouvais encore, je pourrais toujours, cela faisait partie des automatismes acquis par mon système nerveux, mais vint un moment où les ombres se firent plus denses au-dessus de moi…"


2013

CESAR AIRA
Le testament du magicien ténor

Traduction de l'espagnol (Argentine) de Marta Martínez Valls

"Les miroirs s’étaient voilés, les tapis répétaient leurs labyrinthes paresseux. Sur l’estrade de la salle de musique, un piano avait créé le vide autour de lui et battait la mesure du silence. Au plafond, les caissons semblaient s’effondrer comme des bouches quadrillées. Les fauteuils se resserraient sur eux-mêmes, les ténèbres s’appropriaient les billards et les marbres."

"La traversée, dans une mer sans limites, faisait que tout paraissait possible, même l’amour. Il y avait le spectacle permanent des phénomènes atmosphériques ; les pluies monotones de l’équateur furent suivies d’autres climats qui semblaient improvisés. Les courants marins courbaient les méridiens, et les géométries de l’horizon se peuplaient de continents. Le navire se balançait à la surface des gouffres."


CESAR AIRA
anniversaire

Traduction de l'espagnol (Argentine) de Serge Mestre

"La Voie lactée filait dans la même direction que notre rue."

"Personnellement, j'ai été tenté par l'idée de vivre une bonne fois pour toutes, directement. Mais c'est impossible parce que, pour cela, il faudrait avoir déjà été mort."

 

2011


CESAR AIRA
La preuve
Traduction de l'espagnol (Argentine) de Michel Lafon

"— Tu baises?
Marcia fut tellement surprise qu'elle ne comprit pas la question. Elle regarda autour d'elle tout émue, pour voir qui l'avait posée... Après tout, cette question n'était pas si déplacée que ça. Peut-être même ne pouvait-on s'attendre à autre chose, dans ce labyrinthe de voix et de regards, tout à la fois transparent, léger, sans conséquence, et dense, véloce, un peu sauvage. Mais bon, si l'on commençait à s'attendre à quelque chose...
Trois cents mètres avant la place Flores se déployait, de ce côté-ci de l'avenue, un monde juvénile, figé et mobile, tridimensionnel, qui rendait palpables ses contours et le volume qu'il créait.

2008


2006

CESAR AIRA
le prospectus
Traduction de l'espagnol (Argentine) de Michel Lafon

"Un trio de cithare, tambourin et contrebasse penjâbi marquait le rythme, sur des mesures ultracourtes, tant et si bien que Lekha semblait danser sur des musiques mentales. Ce n’était pas si loin de la réalité, comme le démontraient les regards des spectateurs. Lekha était une typique beauté autochtone : petite, mince, la chevelure huilée couleur jais, les sourcils noirs, le nez crochu, des yeux énormes, une expression tourmentée et, cette nuit, absorbée. Elle était immensément populaire à Lahore et dans toute la province."


2005

CESAR AIRA
J'étais une petite fille de sept ans

Traduction de l'espagnol (Argentine) de Michel Lafon

"Plus tard, un vent violent vida le ciel de ses nuages et, après le dîner, nous sortîmes sur les terrasses du palais, pour contempler le prodigieux spectacle que nous offrait le firmament. Des millions et des millions de lunes brillaient et clignotaient dans le noir de l'univers sans fond. Elles formaient des figures, des constellations, des voies et des traînées, vers lesquelles s'élevaient nos clameurs émerveillées. Lunes pleines, croissantes, décroissantes, dans toutes leurs phases, groupées en faisceaux serrés ou solitaires, certaines si lointaines qu'elles n'étaient qu'un point de pâleur trémulante, d'autres plus proches palpitant avec agressivité au zénith."


CESAR AIRA
La nuit de Flores

Traduction de l'espagnol (Argentine) de Michel Lafon

"Aldo et Rosita Peyrô - un couple mûr du quartier de Flores - adoptèrent un jour un singulier métier, qui éveilla la curiosité des rares personnes qui étaient au courant : ils livraient des pizzas à domicile, la nuit. Bien sûr, ils n'étaient pas les seuls à le faire, vu l'armée d'adolescents qui sillonnaient à mobylette les rues de Flores, et de tout Buenos Aires, dès la tombée du jour, comme des souris dans le labyrinthe d'un laboratoire. Mais aucun autre couple de leur âge (ni jeune, d'ailleurs) ne le faisait à leur manière, à pied."

 

2004


CESAR AIRA
Le Tilleul

Traduction de l'espagnol (Argentine) de Christilla Vasserot

" Le tilleul est un arbre de petite taille, élégant, au tronc fin, qui a toujours l’air jeune. Sur la Place de Pringles, en plus des dix mille tilleuls de ce genre, normaux, il y en avait un qui, par un étrange caprice de la Nature, était devenu énorme, vénérable, avec son tronc tordu, son feuillage impénétrable ; vingt tilleuls ordinaires fondus en un seul n’auraient pas suffi à donner cela. Je l’avais surnommé le Tilleul Monstre. Je le regardais avec effroi, ou du moins avec respect, mais aussi avec tendresse, car, comme tous les arbres, il était inoffensif."

2003


2002

CESAR AIRA
varamo
Traduction de l'espagnol (Argentine) de Michel Lafon

"Un jour de 1923, dans la ville de Colon (Panama), un commis aux écritures de troisième classe sortait du Ministère où il remplissait ses fonctions, à la fin de sa journée de travail. Il venait de toucher son salaire à la caisse, puisque c'était le dernier jour ouvrable du mois. Dans le laps de temps qui s'écoula entre ce moment et l'aube du jour suivant, quelque dix ou douze heures plus tard, il écrivit un long poème, intégralement, depuis la décision de l'écrire jusqu'au point final, après lequel il n'y aurait ni ajout ni correction. Pour finir de refermer ce laps de temps sur lui-même, il faut dire que jamais auparavant, dans son demi-siècle de vie, il n'avait écrit le moindre vers, ni n'avait eu le moindre motif de le faire ; et qu'après, il ne le fit pas davantage. "


CESAR AIRA
Le magicien

Traduction de l'espagnol (Argentine) de Michel Lafon

"Cette année, au mois de mars, le magicien argentin Hans Chans (de son vrai nom, Pedro Maria Gregorini) a participé à un symposium d illusionnistes au Panama. L'événement, d'après l'invitation et le dépliant, devait réunir les professionnels les plus prestigieux du continent, pour préparer le grand congrès mondial, qui a lieu tous les dix ans et se déroulera l'an prochain à Hong-Kong. Le congrès précédent s'était tenu à Chicago et il n'y avait pas assisté. Il ne se proposait pas seulement de participer, mais d'être reconnu une fois pour toutes comme Le Meilleur Magicien du Monde. L'idée n'avait rien de saugrenu ni d'excessif ; elle avait un fondement aussi raisonnable qu'étrange : Hans Chans était un véritable magicien. Il ne savait ni comment ni pourquoi, mais il l'était."

2002

2000

CESAR AIRA
Les larmes

Traduction de l'espagnol (Argentine) de Michel Lafon

"Je suis entré dans une autre espèce d'immobilité, si solide que la peur, par inertie, poursuit sa course et m'abandonne, elle s'écoule en s'éloignant de moi. Les larmes aussi. Dans ma soudaine quiétude de statue, j'avance vertigineusement vers l'arrière, je me précipite dans des ovales de pensée d'où irradie un regard sauvage. "


CESAR AIRA
le congrès de littérature
Traduction de l'espagnol (Argentine) de Marta Martínez Valls

"Comme prévu, à cet instant un rayon de soleil se faufila à travers l’entrebâillement de deux montagnes et vint se poser en ligne droite sur le verre de l’Exoscope. Je déplaçai savamment les panneaux de manière à dessiner un petit carré à l’aide du point jaune. Je connaissais bien l’effet de l’activité lumineuse sur les cellules clonées. Et, effectivement, la larve se mit à se réabsorber dans son reflet sur le verre. Ce fut très rapide, très fluide, mais ce ne fut pas sans heurts. "

1997


CESAR AIRA
La guerre des gymnases

Traduction de l'espagnol (Argentine)de Michel Lafon

"Au beau milieu de la guerre des gymnases de Flores, dans une phase où le Chin Fu avait le dessous, quelqu'un se présenta à la réception de ce gymnase, avec l'innocente intention d'améliorer son aspect physique. On ne pouvait pas dire qu'il en eût visiblement besoin : c'était un garçon d'une vingtaine d'années, un blond à l'aspect ordinaire, ni grand ni petit, ni gros ni maigre, ni beau ni laid. Il s'appelait Ferdie Calvino. Ce qu'il voulait, dit-il à Mary, la réceptionniste, après avoir rempli sa fiche et payé son inscription, et répéta-t-il ensuite à Julio, le moniteur qui était de service à cette heure-là, c'était perfectionner son corps de façon à provoquer "la peur chez les hommes et le désir chez les femmes".

1992


1990

CESAR AIRA
les fantômes
Traduction de l'espagnol (Argentine) de Serge Mestre

"Avant qu'ils ne s'arrêtent, Patri s'était levée et se dirigeait vers l'arrière de l'immeuble. Ses pas devenaient de plus en plus rapides, sans qu'elle coure pour autant. Tout d'un coup, ils comprirent ce qu'elle avait l'intention de faire et, loin d'être paralysés par la surprise, ils bondirent à leur tour et s'élancèrent vers elle pour l'arrêter : les femmes, les hommes et les enfants, tout le monde criait parmi les explosions des fusées proches et lointaines et le ciel qui fleurissait de mille feux d'artifice. Cependant, ils ne parvinrent pas à la rattraper, même s'il s'en fallut de peu. Patri sauta dans le vide. Puis ce fut tout. La famille, dans sa totalité, s'arrêta sur le bord, juste à l'extrémité, muette comme si le cœur, à cause de l'inertie de la course, s'était jeté dans le vide lui aussi."