JACQUES ABEILLE
Accueil

2020

JACQUES ABEILLE
Les carnets de l'explorateur perdu

"Personne ne pouvait imaginer, à l'aube de ce jour funeste, que notre affaire tournerait aussi mal. Quand mon unité fit mouvement, on ignorait encore la félonie d'une partie de notre armée. Les hommes croyaient à la rigueur morale de leurs chefs, à la puissance de leurs armes et aux vertus de la discipline. J'avais reçu l'ordre de tenir avec mon groupe, une position avancée. Un ancien moulin, au sud de la capitale, en bordure d'un petit cours d'eau, le Bassinet. Une partie de la troupe se dissimula dans les bâtiments à demi ruinés, l'autre s'installa sous le couvert d'un boqueteau. Quelques avant-postes, des groupes de deux ou trois hommes dissimulés dans des caches rudimentaires, devaient nous avertir de toute approche. Le jour était limpide. Nous n'entendions aucun bruit et n'en faisions pas davantage."


2016

JACQUES ABEILLE
La grande danse de la réconciliation

"Il me paraît donc tout à fait possible aujourd'hui d'établir — et de vérifier sur le terrain — que la complexité d'une langue — partant, la richesse en nuances de ses énoncés — est inversement proportionnelle au degré d'évolution technique de la population qui la parle. Il pourrait en découler une critique radicale de l'idée de progrès, cet aveuglant lieu commun de notre monde."



Bernard Noël et Jacques Abeille, le28 janvier 2015, à Rennes (Champs Libres/ Maison de la Poésie )



Sur Radio Univers

JACQUES ABEILLE
Brune esclave de la lenteur

"l'aube égoutte ses blancheurs
sur des plis de pivoine
promesse de plaisir nu
commencent tes légendes
tes évasions

les fesses du ciel
façonnent autour de toi
les noirs festons de la passion
tu cernes ma silhouette de craie
tu choisis pour maître
le plus modeste
j'abuserai dans la lenteur"

2014


JACQUES ABEILLE
Le comparse

"L'œil d'un vert marin éteint, le visage chevalin encadré de mèches pâles qui déjà se givraient, une longue silhouette oscillante, Henri de Hère deux fois la semaine traversait avec une mélancolie hautaine la salle de rédaction pour déposer dans la corbeille de notre chef sa chronique culturelle. Une onde de silence se propageait sur son passage. Hors de sa présence on parlait de lui comme d'un petit hobereau jouissant d'une fortune confortable qui pratiquait le journalisme en dilettante et gardait ses distances avec le commun. Un prétentieux ; on ne l'aimait guère."

2012


JACQUES ABEILLE
La barbarie
Le cycle des contrées VI

"...on se trompe sur le sens des évènements; nous ne nous éloignons pas de la barbarie, nous y allons."

2011


2011

JACQUES ABEILLE
Les barbares
Le cycle des contrées V

"Les mille questions qu'en d'autres moments j'aurais voulu lui poser étaient suspendues par un sentiment d'évidence éclatante et les mots se dissolvaient, consumés de la toute-puissance de leur source. Toutefois, quand déjà elle allait me quitter, tenant son poignet où palpitait avec vaillance le flux d'une vie qu'un moment elle avait partagée avec moi, je ne pus retenir une interrogation où se mêlaient à parts égales le désarroi et l'espérance.
« Que vais-je faire ? »
Son visage n'était qu'une ombre bienveillante penchée sur moi, mais j'y devinais un sourire attentif.
«Te souvenir que la modestie est la forme la plus sûre de la fierté. »
Ses mots n'étaient qu'un souffle qui me balaya le front. Un instant plus tard, elle avait disparu."

 


2010

JACQUES ABEILLE
Les Mers perdues
Schuiten & Abeille

"Avant de quitter le village, le dessinateur a réalisé, à l'opposé de la statue reptilienne, une très belle planche dont le sujet est remarquable. Il s'agit d'un pont immense dont la première arche, tout comme les jours dont sont évidées sa culée et sa première pile, est en arc brisé et la seconde, vertigineuse, est rompue en plein ciel. A son habitude, l'artiste a placé sur l'édifice la silhouette d'un homme qui d'une démarche mesurée et opiniâtre s'avance vers la béance azurée du lointain. A n'en pas douter, cette silhouette qui surmonte le vertige est la mienne."


2008

LEO BARTHE (JACQUES ABEILLE )
Chroniques scandaleuses de Terrèbre
Le cycle des contrées IV

"Dans ces nudités familières, ordinaires et que ne transcende aucune haute idée, éclate cependant une joie dans l'indécence dont on chercherait bien en vain la manifestation en notre époque pourtant tellement licencieuse. Je rencontre dans ma solitude ce paradoxe qui voudrait nous faire croire qu'un chemin de contraintes étroites mène plus sûrement aux plaisirs francs. Mais est-ce bien de contraintes qu'il s'agissait ? ou plutôt d'espoir et de générosité ? "


2008

JACQUES ABEILLE
Les voyages du fils
Le cycle des contrées III

"Savoir à qui attribuer la vie d'un homme demeure indécis car elle continue de s'épanouir par-delà l'absence et la mort. Ma vie pour une part est faite de souvenirs qui me sont échus sans que j'aie été mêlé aux événements et c'est à moi que revient la responsabilité d'en inscrire les enchaînements, comme si j'étais ensemble le dernier homme et l'écrivain ultime à qui un autre encore succédera peut-être, si ce monde, plus sauvage que le cœur de la plus noire forêt, le permet."

 


2007

JACQUES ABEILLE
Séraphine la Kimboiseuse

"Pour la quatrième fois en une dizaine d'années, je naviguais vers ma plantation. Les vents étaient favorables et la mer, faste. Durant ces longs jours de vacance face à l'immensité des eaux, l'oreille harcelée par le chuintement refroissé de l'étrave déchirant la vague, je n'avais d'autre compagnie que celle de mes soucis. L'esclavage continuait d'avoir cours dans les îles."


JACQUES ABEILLE
En Mémoire morte

"L'odeur des jardins mouillés est celle même de l'enfance finissante, entre rêves et prodiges. La voiture garée, les essuie-glaces à l'arrêt, la senteur de la terre désaltérée emplit l'habitacle et le regard de Thadée tantôt s'attache aux rides hésitantes qui posent au pare-brise leur réseau scintillant, tantôt s'ouvre au décor d'une route côtière noyée de gris et comme peinte sur une gaze qu'aucun souffle ne fait trembler. Mais voit-il encore ce monde où pour lui plus que pour tout autre s'éteignent les couleurs de la nature, ponctué des masses sombres d'une haie désordonnée bordant vers la gauche la surface luisante de l'asphalte où tombent les haillons du ciel ? Sur la droite, une palissade de planches nues dresse une cloison d'un jaune paille, incongru dans le subtil dosage du lavis, et Thadée rumine l'anomalie mesquine qui lui a forgé un destin. Trop fin pour la maudire, il ne peut évoquer sa mère sans amertume. Huit pour cent des hommes souffrent d'une cécité partielle ou même totale aux couleurs et c'est par leur mère que leur vient cette tare."

1992


1991

JACQUES ABEILLE
La Clef des ombres

"Silence. Nuit. Puis, à travers les rares et minces interstices des volets pleins, lentement se met à filtrer l'indécise lumière de l'aube. Les objets ne sont au commencement que des masses sombres ou claires assez confuses, dans la grisaille à peine séparés les uns des autres. C'est l'heure muette où la maison s'éteint; les boiseries cessent de craquer, les pierres de soupirer dans leur gravité, en attente des bruits de la vie. Les objets ont presque recouvré leur contour quand la sonnerie du réveille-matin déchire cette torpeur. La sonnerie insiste, se propage dans sa durée et s'interrompt."


1986

JACQUES ABEILLE
Le Veilleur du Jour
Le cycle des contrées II

"Sur toute la contrée, depuis les rebords amers du plateau dont les flancs se craquelaient de combes où les torrents menaient sans relâche leur tapage jusqu'aux mornes pentes des Hautes Brandes dont les sentes s'engonçaient sous des arceaux d'aubépines tassées comme des fous rires et, entre les deux, bien sûr, sous les denses nuées de la forêt qui étirait ses membres gourds au vent soudain tiédi, sur toute la contrée, en tout lieu et tout asile et même sur l'onde sans remords, cette odeur verte comme une femme. Et, quand le vent se suspendait, le goût sauvage du silence. "


1982

JACQUES ABEILLE
Les jardins statuaires

Le cycle des contrées I

"Je vis de grands champs d'hiver couverts d'oiseaux morts.
Leurs ailes raidies traçaient à l'infini d'indéchiffrables sillons. Ce fut la nuit. "